La Russie a terminé la mise en place en Syrie d’un réseau avancé d’anti-accès [zone d’exclusion] et de zone interdite (A2AD) qui combine ses propres systèmes de défense aérienne et de guerre électronique avec des équipements modernisés auparavant commandés par la Syrie. La Russie peut utiliser ces capacités pour lancer un défi stratégique à long terme aux États-Unis et à l’OTAN dans la Méditerranée orientale et au Moyen-Orient. La Russie est actuellement en position de perturber la coalition anti-Daech des États-Unis, de limiter les options militaires futures pour les États-Unis en Syrie et d’augmenter la puissance de la dissuasion des futures actions de force de l’Iran et du président syrien Bachar al-Assad.
Systèmes de défense aérienne
La Russie a terminé un réseau avancé d’anti-accès [zone d’exclusion] et de zone interdite (A2AD) qui limite la liberté de manœuvre des États-Unis en Syrie et dans l’est de la Méditerranée. La zone intègre des systèmes de défense aérienne et de guerre électronique importés de Russie avec des équipements modernisés précédemment exploités par la Syrie. La Russie a commencé à renforcer ces capacités immédiatement après son intervention en Syrie en 2015. Les forces armées russes ont mis en place un réseau de défense aérienne partiellement indépendant pour protéger leurs moyens militaires à la base aérienne Hmeimim et à l’installation navale Tartous sur la côte méditerranéenne[1] La Russie a déployé une batterie unique de systèmes de missiles sol-air S-400 Surface-to-Air Missile Systems (SAMS) sur la base aérienne Hmeimim en novembre 2015.(Note a) Elle a ensuite déployé au moins trois batteries de défense aérienne supplémentaires – deux S-400 et un S-300 – pour créer un réseau se chevauchant dans le nord de la Syrie en août 2017[2] La Russie a intégré ces plates-formes aux systèmes radar des Forces de défense aérienne syriennes afin d’étendre sa capacité à surveiller son espace aérien au-dessus du pays[3].
En août 2017, la Russie exploitait également des systèmes limités de commandement et de contrôle et de ciblage en Syrie. Les forces armées russes ont probablement déployé le Barnaul-T – un système mobile de commandement et de contrôle pour les systèmes de défense aérienne à courte portée – en Syrie en 2015.[4] Les forces aéroportées russes ont commencé à s’entraîner avec le 1L122-1E comme composante du Barnaul-T pour la première fois en février 2016 et l’ont ensuite commercialisé pour exportation en juillet 2018 après des essais sur le terrain en Syrie.[5] Le 1L122-1E peut fournir des informations de ciblage à divers systèmes de défense aérienne à courte portée, y compris Osa (SA-8), Strela-10 (SA-13) et Man-Portable Air-Defense Systems (MANPADS) (Note b) Ce réseau de défense aérienne ne couvre néanmoins pas toute la Syrie ni ne subordonne les forces de défense aérienne syriennes à la Russie depuis août 2017. Le ministère russe de la Défense a estimé qu’il faudrait deux batteries de S-400 et trois ou quatre batteries de S-300 pour contrôler complètement l’espace aérien au-dessus de la Syrie[6].
La Russie a encore étendu son déploiement de systèmes de défense aérienne en Syrie en 2018. La Russie a d’abord exprimé son intention d’étendre davantage son réseau après qu’une attaque à l’arme chimique ait provoqué des frappes aériennes contre la Syrie par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne le 14 avril. Le président du Comité de défense et de sécurité du Conseil de la Fédération de Russie, Viktor Bondarev, a déclaré que la Russie pourrait réagir aux frappes en mettant en place un « système de défense aérienne à plusieurs niveaux et très efficace » en Syrie[7], après que les Forces de défense aérienne syriennes ont accidentellement abattu un IL-20 russe lors des attaques aériennes menées par Israël le 17 septembre.Les forces armées russes ont déployé au moins trois batteries supplémentaires de S-300 en Syrie avant le 2 octobre[9] Ces systèmes seraient devenus opérationnels au combat à partir du 7 novembre, bien que des images satellitaires aient montré par la suite qu’au moins une des batterie était toujours stationnée sur un site de stockage au 13 novembre[10] La SIE [Institute for the Study of War] ne peut vérifier indépendamment le statut des deux autres batteries de S-300.
Ces récents déploiements élargissent considérablement la portée géographique du réseau russe de défense aérienne en Syrie. La Russie a positionné la première nouvelle batterie de S-300s dans les montagnes de la province de Tartous le long de la côte syrienne. Cette batterie est situé à moins de deux kilomètres des positions préexistantes occupées par un S-400 russe et un S-200 syrien[11] La Russie aurait positionné la deuxième batterie sur la base aérienne T4 (Tiyas) au nord-est de Damas.L’emplacement de la troisième batterie n’est pas clair, bien qu’elle puisse être déployée à la base aérienne militaire de Deir ez-Zour, dans l’est de la Syrie[13] Cette position – si elle est confirmée – pourrait limiter considérablement les opérations aériennes de la coalition antimissile américaine dans l’est du pays[12]. Le graphique ci-dessous montre les emplacements évalués et les portées maximales des systèmes de défense aérienne exploités par la Russie en Syrie.
La Russie a simultanément consolidé son commandement et son contrôle sur les Forces de défense aérienne syriennes en 2018. Le ministère russe de la Défense a annoncé qu’il établirait un système de contrôle unique pour les systèmes de défense aérienne exploités par la Russie et la Syrie d’ici le 20 octobre[14] Cette annonce fait suite à des mesures plus immédiates pour répondre à l’arrêt de l’IL-20 russe par la Syrie en septembre 2018. Le 18 septembre, la police militaire russe a arrêté les forces de défense aérienne syriennes responsables de l’écrasement de l’IL-20[15] La Russie a également exigé que la Syrie entame une enquête approfondie sur la chaîne de commandement des forces de défense aérienne syriennes le 19 septembre[16] L’enquête aurait porté sur les unités de défense aérienne qui n’avaient aucun lien direct de commandement et contrôle avec la base aérienne Hmeimim.[17] La Russie aurait par la suite établi un nouveau quartier général sous son commandement pour intégrer tous les systèmes de défense aérienne exploités par la Syrie[18] Le ministère russe de la Défense a rapporté le 31 octobre qu’il avait déployé le Polyana-D4 – un système mobile de commandement et de contrôle pour les systèmes de défense aérienne à longue portée – en Syrie. Le Polyana-D4 est capable de diriger simultanément plusieurs systèmes de défense aérienne dont le S-300, le Pantsir-S1 (SA-22), le Buk-M2 (SA-17) et le Tor-M1 (SA-15)[19] Il peut exercer un meilleur contrôle sur une zone plus large que le Barnaul-T. La Russie aurait également modifié ses S-300 en Syrie pour synchroniser leur cryptage avec les radars appartenant à la Syrie[20].
La Russie contrôle désormais un réseau intégré de défense aérienne basé en Syrie mais subordonné aux forces armées russes. La Russie a prétendu former des unités locales afin de céder à terme le contrôle du réseau aux forces de défense aérienne syriennes. Ces affirmations sont probablement fausses. Le ministère russe de la Défense a déclaré le 31 octobre que la Russie effectuait une formation de trois mois sur le S-300 pour la Syrie[21] La Syrie avait brièvement reçu une formation similaire jusqu’à ce que la Russie avorte un accord pour fournir des S-300 à la Syrie en juin 2012[22] Ce court calendrier de formation est insuffisant pour permettre des opérations indépendantes des forces syriennes de défense aérienne. La Russie est plus susceptible de former des unités d’entraînement à l’entretien de base et à l’intégration de certains radars et systèmes de défense aérienne à courte portée dans le nouveau système de commandement dirigé par la Russie. La Syrie est également confrontée à des défis systémiques pour son réseau de défense aérienne en raison d’équipements obsolètes et de l’attrition généralisée des forces de défense aérienne syriennes pendant la guerre civile syrienne. La Syrie ne possède probablement plus de capacités de défense aérienne indépendantes de la Russie.
Guerre électronique
La Russie teste également de nouveaux systèmes de guerre électronique en Syrie. Son implication dans la guerre civile syrienne lui permet d’acquérir une expérience pratique et de valider son concept d’opérations de guerre électronique dans un environnement contesté. La Russie aurait déployé au moins quatre systèmes de guerre électronique uniques en Syrie :
Krasukha-4 : La Russie a déployé le Krasukha-4 sur la base aérienne d’Hmeimim en octobre 2015[23] Le système est capable de supprimer la navigation par satellite, les réseaux de communication, les systèmes d’alerte avancée aéroportés et les radars terrestres à des distances allant jusqu’à 300 kilomètres[24] La Russie aurait déployé un deuxième Krasukha-4 en Syrie en septembre 2018[25] Ce système est probablement situé sur la base aérienne T4 (Tiyas) dans le centre du pays, au même endroit que le nouveau bataillon des S-300s.
Leer-3 [surveillance] : La Russie aurait déployé le Leer-3 (RB-341V) en Syrie avant mars 2016[26] Le Leer-3 utilise des véhicules aériens sans pilote pour brouiller les appareils mobiles tels que les téléphones cellulaires et les tablettes informatiques dans un rayon de cent kilomètres. Il peut également fournir des coordonnées de tir pour l’emplacement de ces dispositifs pour l’artillerie et les frappes aériennes. La Russie a peut-être utilisé ce système pour perturber les opérations des groupes d’opposition avant les opérations militaires pro-régime[28] La Russie a probablement aussi utilisé ce système pour identifier et cibler les installations liées à l’opposition comme les hôpitaux[29].
Zoopark-1 : La Russie a déployé le Zoopark-1 (1L219) à Palmyre en Syrie centrale en mars 2016[30] Zoopark-1 identifie l’origine des tirs d’artillerie ennemis pour les tirs de contre-batterie[31] La Russie a probablement utilisé ce système pour soutenir les opérations pro-régime pour protéger Palmyre et les champs pétroliers et gaziers voisins contre Daech en 2016[32].
Moskva-1 : La Russie a peut-être déployé le Moskva-1 (1L267) en Syrie. La Russie a déjà déployé ce système en Ukraine à la fin de 2015, selon le ministère ukrainien de la Défense[33] La Russie a testé d’autres systèmes de guerre électronique en Ukraine et en Syrie, y compris le Krasukha-4 et le Leer-2[34] Le Moskva-1 fournit des informations ciblées pour améliorer l’efficacité des systèmes de guerre électronique contre les avions dans un rayon de 400 kilomètres[35] La Russie pourrait utiliser ce système pour protéger ses installations en réponse aux attaques aériennes accrues d’Israël en Syrie en 2017.
La Russie utilise ses systèmes de guerre électronique pour surveiller et perturber les opérations de la coalition anti-Daech des États-Unis en Syrie. Le commandant de la 10e Division de montagne, le Col Brian Sullivan, U.S. 3rd Brigade Combat Team, a déclaré que son unité était confrontée à un « environnement de guerre électronique congestionné » pendant son déploiement dans le nord de la Syrie entre septembre 2017 et mai 2018[36] Le commandant du Special Operations Command (SOCOM) américain, le général Raymond Thomas, a également fait remarquer en avril 2018 que les US. « opère » dans l’environnement [de guerre électronique] le plus agressif de la planète « avec » des adversaires… « qui nous testent tous les jours en détruisant nos communications [et] en désactivant nos EC-130 » en Syrie[37] Ces déclarations démontrent la gravité de la menace de guerre électronique que représente la Russie en Syrie.
Il est probable que la Russie poursuivra, sinon intensifiera, son recours à la guerre électronique contre les États-Unis en Syrie. Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a déclaré le 24 septembre que la Russie brouillerait les systèmes de navigation par satellite, les radars aéroportés et les systèmes de communication des avions de combat en Méditerranée orientale afin de protéger ses installations sur la côte syrienne[38] Choïgou a probablement lancé cette menace afin de dissuader les Etats-Unis et Israël de frapper à nouveau la Syrie. Le vice-ministre russe de la Défense, Alexander Fomin, accusa plus tard les États-Unis de diriger une attaque de drones contre la base aérienne Hmeimim en octobre 2018[39] Cette affirmation est une tentative probable de piéger les États-Unis pour une série d’attaques par essaim de drones contre la base aérienne Hmeimim depuis fin 2017, peut-être afin de justifier l’utilisation des armes électroniques contre eux.[40] La Russie pourrait utiliser les systèmes actuellement déployés pour perturber les communications et réduire les capacités de ciblage des aéronefs exploités par la coalition anti-Daech des États-Unis en Syrie orientale. Les Etats-Unis doivent être prêts à se défendre contre une escalade future qui combinerait à nouveau la guerre électronique et les opérations terrestres avec leurs forces partenaires dans l’est de la Syrie[41].
Conséquences
La Russie a finalement l’intention d’utiliser ses capacités techniques dans le cadre de sa campagne plus large visant à forcer le retrait de la coalition anti-Daech des États-Unis de Syrie. La Russie peut utiliser ces systèmes pour réduire la liberté de manœuvre globale – et augmenter le risque global – des États-Unis en Syrie. Les réseaux combinés de défense aérienne et de guerre électronique de la Russie augmenteront le coût des opérations aériennes et navales des États-Unis en Syrie et en Méditerranée orientale. Il augmente le coût des futures frappes aériennes pour décourager les attaques du président syrien Bachar al-Assad contre les armes chimiques. Elle augmente également le coût des futures frappes d’Israël contre l’Iran en Syrie. Les États-Unis et Israël doivent tous deux être prêts à supprimer un plus grand nombre de systèmes de défense aérienne et à utiliser des avions furtifs plus coûteux comme le F-35 en Syrie[42] La Russie est prête à acquérir un avantage stratégique à long terme sur l’OTAN par ses nouvelles capacités en Syrie. Les États-Unis et l’OTAN doivent maintenant tenir compte du risque d’une dangereuse escalade au Moyen-Orient au milieu de toute confrontation avec la Russie en Europe de l’Est.
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ANNEXE : Les efforts de la Russie pour moderniser les forces de défense aérienne syriennes, 2007 – 2017
La Russie a dirigé un programme de modernisation progressive des Forces de défense aérienne syriennes avant le début de la guerre civile syrienne. La Syrie a acquis ses premiers systèmes de défense aérienne à courte portée ainsi que 11 S-200 de l’Union soviétique au début des années 1980[43] Ces systèmes ont fourni une capacité de défense aérienne de base qui pourrait cibler la plupart des aéronefs opérant au Moyen-Orient. La Russie a lancé un programme de modernisation de ces systèmes en 2007. La Russie a remplacé certains S-125 syriens (SA-3) par des S-125 Pechora 2M plus perfectionnés, augmentant ainsi leur efficacité contre les avions modernes. La Russie a également livré 50 Pantsir-S1 et 160 Buk-M2 (SA-17) à la Syrie entre 2007 et 2013[44] Les Pantsir-S1 et Buk-M2 ont permis de cibler des systèmes plus petits, notamment des missiles de croisière et des véhicules aériens sans pilote. 45] La Syrie a également modernisé ses radars et ses systèmes de guerre électronique avec l’achat des JYL-1, JYL-27 et Type 120 chinois en 2009-2010[46] Ces systèmes peuvent réduire l’efficacité des avions furtifs, contrer le brouillage hostile et permettre aux défenses aériennes d’engager plusieurs cibles simultanément[47] La Russie a accepté mais annulé par la suite une entente pour fournir les S-300 en 2010 – 2012. La Syrie a principalement concentré ses systèmes de défense aérienne existants pour protéger ses principaux centres urbains dans l’ouest du pays. Au début de la guerre civile syrienne en 2011, les forces de défense aérienne syriennes étaient capables mais manquaient de systèmes nouveaux et avancés de la Russie capables de concurrencer l’Occident[48].
La Russie est ensuite intervenue pour aider à reconstruire les capacités des Forces de défense aérienne syriennes en 2011-2016 (Note c) Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a affirmé que la Russie avait commencé à restaurer les S-200 syriens endommagés pendant la guerre civile syrienne à la mi-2016[49] La Direction opérationnelle principale du Général Sergey Rudskoy, chef d’état major général russe, a identifié le besoin de former des unités locales pour opérer et maintenir des systèmes de défense aérienne modernes déjà en possession Syrie en avril 2018.[50] Le processus global de modernisation reste flou. L’ambassadeur de Russie en Syrie, Alexander Kinshchak, a souligné que « beaucoup reste à faire » pour « restaurer » les systèmes exploités par les forces de défense aérienne syriennes à partir de septembre 2018[51].
Israël a probablement gravement dégradé les capacités restantes des Forces de défense aérienne syriennes malgré les efforts de modernisation déployés par la Russie. Israël a mené des frappes aériennes près de Damas en février 2018 qui auraient détruit entre un tiers et la moitié des systèmes opérationnels de défense aérienne de la Syrie, selon les responsables des Forces de défense israéliennes[52] Israël a ensuite détruit un Tor-M1 (SA-15) de courte portée opéré par l’Iran à la base aérienne T4 (Tiyas) en Syrie centrale le 9 avril, selon des responsables anonymes des renseignements cités par le Wall Street Journal.53] Israël aurait également mené avec succès une attaque de guerre électronique contre les Forces de défense aérienne syriennes dans la province de Homs le 16 avril[54] La Russie aurait enquêté sur les conditions de l’attaque alléguée. Le 9 mai, Israël a lancé une deuxième série de frappes aériennes à Damas et dans le sud de la Syrie, qui ont détruit plusieurs systèmes de défense aérienne, dont les Pantsir-S1 (SA-22), les Buk-M2 (SA-17) et les S-200 (SA-5)[56] Cette attaque a probablement détruit l’essentiel des autres systèmes modernes de défense aérienne utilisés par les Forces syriennes de défense aérienne..