La Belgique en première ligne face à la « menace russe »

Les Etats baltes constituent l’une des zones de friction entre l’Otan et la Russie. La Belgique participe aux missions qui visent à renforcer la présence de l’Alliance atlantique dans ces pays. Pour le chef des opérations de la Défense, la Russie est le nouvel ennemi numéro un, devant les groupes terroristes.

Le capitaine de vaisseau Carl Gillis est le commandant de la Division Opérations de la Défense. À ce titre, il est responsable de l’exécution de toutes les opérations auxquelles l’armée belge prend part dans le monde.

Quelle lecture faites-vous de l’agenda politique et militaire de la Russie aujourd’hui ?
Carl Gillis. 
Je rentre d’une semaine passée à Rome, au Collège de défense de l’Otan où l’opportunité nous a été offerte de discuter deux jours durant avec un conseiller politique du Président russe Vladimir Poutine. Il a été d’une franchise totale dans ses analyses, à tel point que l’agenda de son pays est d’une lisibilité limpide. Aujourd’hui, la Russie entend se réaffirmer en tant que grande puissance sur la scène internationale. Pour y parvenir, elle se tourne en partie vers la zone Asie-Pacifique qui devient le centre de gravité mondial. Elle cherche à y nouer des alliances économiques, politiques et militaires avec des pays tels que la Chine et le Japon notamment. D’autre part, les Russes considèrent que nous sommes déjà entrés dans un monde multipolaire post-américain et, à ce titre, n’acceptent plus ce qu’ils qualifient de diktats des Etats-Unis. Enfin, ils veulent rétablir leur influence dans ce qui constituait autrefois des zones tampons à leurs frontières.

Dans cette perspective, quelles sont leurs priorités ?
C’est tout d’abord la stabilité et la sécurité. La sécurité frontalière singulièrement, primordiale du point de vue russe, et ceci explique d’ailleurs ce qui se passe en ce moment en mer d’Azov, dans le contexte du regain de tension avec l’Ukraine. Ensuite vient le respect. La Russie veut à tout prix qu’on la respecte à nouveau. Ce propos très spécifique est souvent revenu dans nos échanges à Rome. Le développement économique du pays n’arrive qu’en troisième lieu.

Comment les Russes espèrent-ils parvenir à leurs fins ?
Le conseiller de Poutine a été très clair à cet égard : la Russie s’efforce de miner la cohésion de l’Union européenne et de l’Otan, dans le but de nous affaiblir. En jouant sur les dissensions nées du Brexit par exemple, ou sur les tensions entre l’administration Trump et les alliés des Etats-Unis. Pour atteindre cet objectif, ils recourent à ce que nous appelons en langage Otan des « moyens hybrides ». C’est un terme qu’eux n’utilisent pas, ils parlent d’« information warfare » (Guerre de l’information, NDLR). Quoi qu’il en soit, cela désigne, à côté des moyens militaires classiques, toute une panoplie de méthodes telles que l’espionnage, les pressions politiques, la désinformation via les réseaux sociaux, la cyberingérence, la manipulation de représentants politiques ou d’intellectuels influents, etc.

D’un point de vue militaire et stratégique, quelle est la perception russe du monde ?
La Russie se voit entourée de « hot spots », des points de friction avec l’Ouest, c’est-à-dire les USA en premier lieu, ainsi que leurs alliés au sein de l’Otan. Ces points chauds sont la Syrie, la Crimée, les pays Baltes avec l’enclave territoriale de Kaliningrad, le Caucase avec la Géorgie, l’Afghanistan où l’Otan est militairement très présente, la zone pacifique et, plus généralement, les régions frontalières dans lesquelles on retrouve d’anciens pays satellites de l’URSS qui ont maintenant basculé dans le giron de l’Alliance atlantique. La détermination de la Russie à conserver et même à étendre sa sphère d’influence est absolue. A ce propos, s’agissant de la Crimée occupée depuis 2014, le conseiller politique de Poutine nous a dit très catégoriquement : « Elle est à nous et nous ne la rendrons pas ! ».