Depuis 2016, les pertes de la guerre au Yémen ne sont plus actualisées. Pourtant, les médias français persistent à écrire que ce conflit a fait «environ 10.000 morts». De même, aucun homme politique occidental de haut rang, de Trump à Macron, n’agit pour mettre fin à ce massacre. Lorsque l’hypocrisie rencontre des intérêts économiques…
En lisant les médias français depuis ces dernières années au sujet de la guerre au Yémen, l’on se rend compte de ceci: depuis le 30 août 2016, les chiffres ne sont plus actualisés. Tous répètent inlassablement que la guerre a fait «environ 10.000 morts».
Le constat est d’autant plus frappant qu’il suffit de compiler les dépêches de l’AFP depuis le début du conflit pour arriver presqu’entièrement à ce bilan: 9798 morts. L’on se doute que les agences de presse n’ont pas enregistré chaque décès de ce conflit. La différence est même terrible.
Avant de creuser le sujet, il convient de déterminer ceux qui sont considérés comme les victimes de ce conflit. Les combattants? Les personnes tuées par balle? Celles qui meurent de la famine? Du choléra?
Il faut savoir qu’au Yémen, le port d’Hodeïda est vital: 70% des importations et de l’aide humanitaire pour ce pays y transitent. Fait intéressant, puisque «75% de la population, soit 22 millions de personnes, ont besoin d’une aide et de protection, dont 8,4 millions sont en situation d’insécurité alimentaire grave et dépendent d’un apport en nourriture urgent», selon l’Onu.
Ces civils meurent donc des conséquences directes des combats, et doivent être comptabilisés. A la fin du mois de novembre, l’ONG Save the Children a révélé un bilan horrifiant: 85.000 enfants de moins de 5 ans sont morts de faim depuis 2015. Mais ces bambins victimes de famine ne semblent pas suffisants. 5.000.000 d’enfants seraient menacés par la famine, prévient la même ONG.De même, le choléra a frappé extrêmement durement ce pays durant l’été 2017. 1.000.000 de personnes infectées pour 2.226 morts. 1 habitant sur 27.
Ce n’est donc pas en vain Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a qualifié en octobre de cette année ce conflit comme étant «la pire crise humanitaire du monde». Et pourtant, cette guerre ne fait la Une ni des médias, ni des agendas politiques.
Les occasions de dépasser les émotions et d’agir n’ont pas manqué. Dès aout 2015, l’Onu dénonçait des «raids inacceptables» de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite. Human Rights Watch et Amnesty international utilise dès juillet le terme de «crimes de guerre» pour qualifier ces bombardements. Et les exemples s’enchainent…
La crise alimentaire, qui fera 85.000 enfants morts, est mentionnée dès 2015. En octobre 2015, des hôpitaux gérés par Médecins sans frontières sont touchés par des raids aériens. Il y en aura des dizaines jusqu’à aujourd’hui.Avec l’arrivée d’Al Qaïda au Yémen, les frappes de drones américains s’intensifient. Non contrôlées, le site d’investigation américain The Intercept signale même que 90% de ces frappes n’atteignent pas leurs cibles, frappant des civils. Nouveau silence de la communauté internationale.
Pire encore, l’Onu affirme en 2016 que la majorité des pertes civiles dans ce conflit sont le fait de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite. Celle-ci vise les écoles, les mariages, les hôpitaux, les aéroports où est acheminée l’aide humanitaire, les bateaux de réfugiés… Des centaines voire des milliers de mort. L’Arabie saoudite se contente de justifier ces massacres ainsi: des informations erronées transmises aux pilotes. Riyad assure alors à l’Onu qu’il respecte le droit humanitaire. Pas d’enquêtes, tirez les rideaux.
De même, Riyad nie les massacres d’enfants. L’Onu inscrit en juin 2016 la coalition menée par l’Arabie saoudite sur la liste noire des pays qui ne respectent pas le droit des enfants lors des conflits. Mais cette décision sera de courte durée, car des pressions auraient été exercées par Riyad en termes de financement sur l’organisation, selon des diplomates. La représentante des Nations Unies pour les enfants dans les conflits armés, Leila Zerrougui, a précisé alors que l’ONU ne reviendrait pas sur les opérations militaires menées par la coalition dans le passé. « Ce qui est passé est derrière nous », a-t-elle expliqué à la presse. En août 2016, Ban Ki-moon accorde à Ryad le bénéfice du doute.
Toutes ces situations se sont inlassablement répétées, les ONG parlant de crimes de guerre, l’Onu bloqué par la peur de se froisser avec Riyad et les chancelleries occidentales muettes.
Et le mutisme de ces dernières n’est pas à chercher bien loin, en particulier en ce qui concerne Washington et Paris. Pourtant, ces derniers sont passés maitres dans l’art de parler de crimes de guerre, sanctionner et intervenir, contre nombre de pays…Trump et Macron ont la même dépendance vis-à-vis de Riyad: les prix du pétrole, contenir l’Iran et vendre des armes. Nous parlons là en centaine de milliards pour les USA et du deuxième acheteur pour la France.
Les réactions auraient donc de quoi faire rire si le sujet n’était pas si grave. Dès avril 2016, Human Rights Watch affirme que des bombes américaines ont été utilisées par la coalition en tuant des civils. Pire, le 29 mai 2008, les USA avaient signé à Dublin un texte de traité interdisant les armes à sous-munitions, qu’ils n’ont jamais ratifié. Nous apprendrons donc en 2016 que Washington «suspendait la livraison à l’Arabie saoudite d’armes à sous-munitions», 8 ans après…
Après un raid ayant tué 140 civils à Sanaa, Washington s’inquiète d’être impliqué dans un crime de guerre. Mais n’agira pas. Des bombes américaines seront de même identifiées en octobre 2017 par Amnesty. Encore plus cynique, en 2018, Washington continuait à vendre des armes à la coalition arabe, certifiant que Riyad «prenait des mesures pour épargner les civils».En Europe, tandis que la Norvège, l’Autriche, l’Allemagne, le Danemark, suspendaient leurs ventes d’armes à l’Arabie saoudite suite à l’affaire Khashoggi et à la guerre au Yémen, Paris se faisait discret. Très discret. La France ne reviendra pas sur ces ventes.
La ministre des armées, Florence Parly, se dit «révoltée» par cette guerre en août mais assure qu’aucune arme française, «à sa connaissance», n’est utilisée dans le conflit. Elle a ensuite affirmé que «la guerre devait cesser». Pas l’ombre d’une sanction, pas l’ombre d’une enquête internationale, pas l’ombre d’un reproche. Comme pour l’affaire Khashoggi, l’Arabie a trouvé en la France un allié prêt à lui offrir un blanc-seing.
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