Policiers et gendarmes sont en première ligne alors que certains « gilets jaunes » ont appelé à un « acte 5 », samedi. La fatigue, physique et morale, se fait sentir, même si la plupart de ceux que franceinfo a interrogés se disent compréhensifs face au mouvement.
« On sert de tampon entre le gouvernement et ceux qui n’en peuvent plus. Le problème, c’est qu’on n’en peut plus nous non plus. » Nicolas sera parmi les forces de l’ordre samedi 15 décembre, à Paris, pour le cinquième samedi de mobilisation des « gilets jaunes ». Policier en civil, il avait déjà été réquisitionné le 1er décembre, parmi les 5 000 membres des forces de l’ordre déployés dans la capitale pour l' »acte 3″. Lui qui a l’habitude d’assurer le maintien de l’ordre pendant les manifestations ne s’attendait pas à ce déchaînement de violence. « Dans une manifestation basique, le maintien de l’ordre se passe bien en général. Les participants partent d’un point A à un point B, les casseurs se mettent en tête », explique-t-il.
Comme la plupart des policiers en civil, Nicolas était en appui des CRS pour interpeller les casseurs. Pour ses collègues comme pour lui, une telle journée pèse, moralement et physiquement, surtout après de longues journées de travail consécutives. Car depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », les repos se font rares. « On n’est pas extensibles, même avec la meilleure volonté », souligne Nicolas, par ailleurs membre de l’association Mobilisation des policiers en colère. Il raconte ainsi avoir évacué trois collègues CRS pour des malaises vagaux, le 1er décembre : « Un collègue tombe. Les rangs se resserrent pour éviter le vide. On lui retire le casque, on lui donne à boire et il se repose. »
« Le corps a lâché quelques secondes », relève Marie*, policière depuis quatre ans et membre elle aussi de Mobilisation des policiers en colère. Elle a assisté au même type de scène le 1er décembre à Paris. « On ramassait des collègues. Debout toute la journée, sans manger, sans boire, sans pouvoir faire pipi, sous pression physique et psychologique, ils sont tombés d’épuisement, subitement. Voir tomber un grand gaillard, vaillant, c’est impressionnant », relate-t-elle à franceinfo. « Pour ceux qui sont sur les manifestations depuis trois semaines, qui enchaînent vingt et un jours sans repos, c’est lourd. Ils sont lessivés. »
Souleymane*, lui, a travaillé quinze jours d’affilée. « Mon repos a sauté le 1er décembre. C’est une journée en moins passée avec ma famille, ça tire »,confie à franceinfo ce policier détaché à la Compagnie de sécurisation et d’intervention (CSI), adhérent au syndicat Alliance.
« J’ai l’expérience des manifestations contre le CPE [en 2006], mais là c’est beaucoup plus violent », juge-t-il. Comme les autres policiers interrogés, il estime que l’aspect inédit de ce mouvement contribue à la fatigue des troupes. « Il y a de l’agacement, de la tension, et la lucidité qu’on perd un peu », énumère-t-il. La dernière fois qu’il a connu une situation semblable, c’était pendant les attentats de novembre 2015. Il avait travaillé dix-huit jours d’affilée.
Marie n’a pas connu de situation aussi extrême. En revanche, son volume de travail a doublé. Le 1er décembre, par exemple, elle travaille quatorze heures d’affilée et, malgré tout, commence à 7h30 le lendemain. « J’étais en civil. On n’avait pas de point fixe, on bougeait beaucoup. On prenait du gaz lacrymogène et des projectiles en pleine tête parce qu’on n’a pas d’équipement », relate-t-elle. Elle a pu bénéficier de deux jours de repos au milieu de la semaine qui a suivi.
Puis, le 8 décembre, elle est à nouveau mobilisée. Cette fois, elle réalise des contrôles et des fouilles en amont, notamment pour saisir le matériel de protection des manifestants. « On a commencé à 6 heures, dans les gares et sur les grands axes de Paris. On a terminé à 15 heures. Mais on ne se plaint pas, les CRS c’est pire. »
Stéphane* est l’un d’eux. Il a été envoyé quinze jours en mission à Paris avec sa compagnie et, de ce fait, était mobilisé lors des manifestations des 1er et 8 décembre. Il ne s’attendait pas à ce qu’elles soient aussi« destructrices ». « Le 1er décembre, j’ai travaillé vingt heures non-stop. J’ai passé treize heures debout à m’en prendre plein la gueule. Je n’ai pas mangé avant 23 heures. C’est la première fois que les forces de police ont affaire à une manifestation aussi violente et longue à la fois », témoigne-t-il.