Après avoir longtemps refusé de vendre à la Turquie des missiles Patriot, le département d’État américain a soudainement avalisé l’éventuelle signature d’un tel contrat pour 3,5 milliards de dollars. Un analyste turc et deux parlementaires russes sur les raisons de ce revirement dans l’attitude de Washington.
Ces derniers temps, la Turquie devient de plus en plus indépendante en matière de politique extérieure et de défense, ce qui ne plaît pas aux États-Unis qui y perçoivent des menaces géopolitiques et stratégiques pour eux-mêmes. D’autre part, Ankara achète à des conditions bien plus avantageuses des analogues aux Patriot qui sont même plus efficaces que ces missiles américains, a déclaré Abdullah Agar, expert turc en sécurité et en lutte antiterroriste.
«Il est évident qu’à présent, quand les relations turco-américaines traversent une crise, l’Amérique ne veut pas perdre définitivement la possibilité de gagner de l’argent sur ses livraisons d’armements», a estimé l’interlocuteur de l’agence.
Et de rappeler que sur les territoires s’étendant de la mer de Barents au canal de Suez, on voyait se former un puissant bouclier à partir de S-300 et S-400 russes susceptible de dissuader les États-Unis.
«C’est sans doute la raison pour laquelle le département d’État américain a approuvé un éventuel contrat de vente de Patriot à la Turquie», a conclu l’ancien militaire turc.
Un autre interlocuteur, Sergueï Jelezniak, membre de la commission des Affaires étrangères de la Douma (chambre basse du parlement russe), a estimé lui aussi que les États-Unis auraient eu peur de rater l’occasion de gagner de l’argent.
«Washington devrait pourtant déployer des efforts extraordinaires dans ses tentatives de torpiller l’acquisition de S-400 par la Turquie […] qui, tout en faisant partie de l’Otan, exerce une politique extérieure indépendante et se guide avant tout sur ses propres intérêts dans les questions de la défense de sa souveraineté», a expliqué le député.
Youri Chvytkine, vice-président de la commission de la Défense de la Douma, a tenu à rappeler que la décision sur l’achat de Patriot américains était une affaire strictement intérieure de la Turquie.
«C’est une affaire intérieure de l’État [turc, ndlr] que nous respectons beaucoup, mais il est évident que nos systèmes antimissiles, notamment S-400, dépassent les Patriot par bien des caractéristiques techniques et tactiques», a souligné le parlementaire.
Il a par ailleurs pointé une concurrence déloyale dans la décision soudaine des États-Unis de donner un «feu vert» pour des livraisons de Patriot à Ankara.
«La Turquie fait partie de l’Otan, et l’une des tâches des États-Unis est de ne pas perdre un État membre de l’Alliance», a résumé M.Chvytkine.
Les tensions actuelles dans les relations entre la Turquie et les États-Unis s’expliquent par plusieurs facteurs, dont l’intention d’Ankara d’acheter à la Russie des systèmes de missiles sol-air S-400. Pour persuader la Turquie de renoncer aux S-400 russes, les États-Unis ont proposé à Ankara d’acquérir des Patriot, systèmes de missiles sol-air de moyenne portée, pour un montant total de 3,5 milliards de dollars. Washington exerce des pressions sur la Turquie, leur allié au sein de l’Otan, pour qu’elle renonce à l’acquisition de ces systèmes de défense antiaérienne, menaçant de refuser de lui livrer des chasseurs F-35.