A genoux dans l’herbe fanée, une trentaine d’hommes et femmes scrutent le sol, centimètre par centimètre. L’objectif de ce travail de fourmi : détecter des mines dont la zone de guerre dans l’est de l’Ukraine est truffée depuis plusieurs années.
L’équipe de démineurs travaille sur une colline de 74.000 m2 où des « signes directs » de présence de mines antichars ont été détectés.
Cet ancien pâturage bouclé et marqué par des panneaux en anglais « Danger mines » se trouve à Tchouguinka, un pittoresque village entouré de bois de pins dans la région de Lougansk, à 25 kilomètres à l’ouest de la ligne de front.
« Tout le village s’en servait. C’est pour eux qu’on s’occupe du déminage, pour qu’on puisse leur dire un jour: ici tout est nettoyé », assure Anatoli Radtchenko, ex-entrepreneur devenu chef de démineurs, équipé comme ses collègues d’un gilet pare-balles bleu et d’un masque de protection.
Composée d’Ukrainiens, l’équipe a été formée par la Fondation suisse de déminage (FSD), organisation basée à Genève qui la finance. Armés de sondes manuelles et de détecteurs de métaux, ses membres ont pour tâche de localiser des mines, les marquer de fanions et alerter les services de secouristes de l’Etat, chargés du désamorçage.
Un travail dangereux et très lent: en six semaines, l’équipe a examiné moins de 5 % du champ.
« Travailler malgré tout »
Les accords de paix de Minsk conclus en février 2015 ont permis de réduire considérablement les affrontements, mais des flambées de violence régulières et des explosions de mines plantées par les belligérants continuent d’alourdir le bilan des victimes.
« Environ 7.000 km2 sont contaminés par des mines (…) dans l’est de l’Ukraine, ce qui en fait une des régions les plus minées au monde », s’est inquiétée en décembre dans un communiqué l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Selon l’ONU, plus de 1.600 civils ont été tués ou blessés par ce type d’armes depuis le début du conflit alors que plus de deux millions d’Ukrainiens dont 220.000 enfants continuent d’être exposés à ce risque.
Andri, agriculteur de 32 ans, qui habite à Tchouguinka avec sa famille et gagne sa vie en cultivant du blé, doit ainsi désormais tenir compte de ce risque. Un de ses collègues d’un village voisin été blessé par une mine lors de la moisson.
« Pour un conducteur de tracteur, il y a toujours un risque ici de sauter sur une mine », soupire cet homme à la large carrure. « Mais il faut travailler malgré tout. »
Des décennies pour nettoyer
En plus de la FSD, deux autres organisations humanitaires, The HALO Trust et Danish Demining Group (DDG) s’occupent du déminage en Ukraine mais seulement dans les zones contrôlées par Kiev.
De l’autre côté de la ligne de front, les autorités, qui effectuent elles-mêmes le déminage, ne dévoilent pas la surface des territoires contaminés, mais, tout comme celles de Kiev, avouent que ce processus prendra des années, voire des décennies.
« On en souffrira encore très longtemps », reconnaît le maire de la ville de Gorlivka Ivan Prykhodko.
D’autant qu’en dépit de trêves officielles, les deux camps continuent de miner de nouvelles zones sans les marquer, selon l’OSCE.
Et le déminage n’avance qu’au compte-gouttes: depuis 2014, les spécialistes militaires ukrainiens, qui effectuent la majeure partie du déminage, n’ont pu contrôler que 42 km2 des territoires contaminés, soit 0,6 % du total, selon les chiffres officiels publiés en décembre.
Les mines continuent de tuer. Fin septembre, trois adolescents sont morts après avoir sauté sur une mine dissimulée dans un bois près de Gorlivka. Seul un garçon de dix ans, blessé, a survécu.
« Certains estiment que les parents sont coupables d’avoir laissé les garçons déambuler seuls, d’autres, que les enfants le sont car ils n’ont pas remarqué le panneau ‘Mines' », confie à l’AFP Vladimir Touloup, dont le petit-fils Dima a survécu. « Mais ce n’est pas eux, c’est cette maudite guerre qui est coupable. »