Les pourparlers américano-russes à Genève concernant le traité de 1987 sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF) se sont soldés par un échec. Dans un ultime appel à sauver le traité, Moscou a proposé aux experts américains d’inspecter un nouveau missile russe suspect, que Washington a cité comme alibi pour sa décision de mettre fin au traité, mais les États-Unis ont rejeté catégoriquement cette offre et ont reconfirmé leur intention de suspendre l’application du pacte de la guerre froide avec effet à compter du 2 février.
Nous entrons en terrain inconnu en matière de sécurité régionale et internationale. La Russie prévoit une augmentation des déploiements américains près de ses frontières. Dans une interview accordée au quotidien gouvernemental Rossiyskaya Gazeta, le secrétaire du Conseil de sécurité russe, Nikolai Patrushev, a déclaré mardi : » De manière générale, notre analyse montre que la présence américaine près de nos frontières va augmenter… Quant aux frontières occidentales, nous prenons note des perspectives de croissance de la présence militaire américaine et des autres pays de l’OTAN dans les parages. En 2019, le placement de groupes tactiques de bataillons multinationaux en Lettonie, Lituanie, Estonie et Pologne se poursuivra. En même temps, Bruxelles ne cache pas que son objectif principal est de contenir notre pays. Le renforcement du segment européen du système mondial de défense antimissile américain se poursuit. L’inauguration du complexe de défense antimissile en Pologne, en plus de celui déjà opérationnel en Roumanie, est prévue en 2020. »
De même, de nouvelles lignes de failles apparaissent. Moscou prévoit d’autres déploiements de missiles américains en Asie du Nord-Est, en particulier au Japon. Moscou estime qu’il est irréaliste d’attendre du Japon qu’il adopte une politique étrangère indépendante. Cette réalité géopolitique en Asie du Nord-Est jette à son tour des ombres sur l’amélioration récente du climat dans les relations russo-japonaises. (Voir mon blog : Russia tamps down the Kuril hype.)
A la suite des pourparlers au niveau des ministres des Affaires étrangères qui ont eu lieu lundi à Moscou entre le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et son homologue japonais Taro Kono, ce dernier s’est montré réticent à tenir une conférence de presse conjointe, soulignant ainsi l’évolution rapide du climat des relations entre les deux pays. Les remarques de M. Lavrov aux médias ont par la suite révélé un durcissement de la position de la Russie sur le différend territorial concernant les îles Kouriles.
- Lavrov a exigé une reconnaissance japonaise pure et simple de la souveraineté russe sur toutes les îles de la chaîne Kurile en tant qu’élément résultant de la Deuxième Guerre Mondiale, comme le stipulent les traités internationaux et les Nations Unies – « la reconnaissance indiscutable par le Japon de la totalité de l’issue de la Deuxième Guerre Mondiale, y compris la souveraineté russe sur toutes les îles du Sud de la chaîne Kurile », selon Lavrov.
- Lavrov a déclaré que la législation nationale japonaise devait donc être modifiée en conséquence, en consultation avec la Russie. « C’est notre position de base et sans mesures dans cette direction, il est très difficile de s’attendre à des progrès sur d’autres questions (telles que les traités de paix) ».
De toute évidence, dans le scénario d’un traité post-INF qui se profile, l’alliance de sécurité entre le Japon et les États-Unis devient maintenant un obstacle majeur dans les relations russo-japonaises. Lavrov a particulièrement mis le doigt là-dessus : « La Déclaration de 1956 a été signée alors que le Japon n’avait pas de traité d’alliance militaire avec les États-Unis. Le traité a été signé en 1960, après quoi nos collègues japonais se sont écartés de la Déclaration de 1956. Maintenant que nous reprenons les pourparlers sur la base de cette déclaration, nous devons tenir compte du changement radical survenu depuis lors dans les alliances militaires du Japon. Au cours des entretiens d’aujourd’hui, nous avons porté notre attention sur les efforts des États-Unis visant à développer un système mondial de défense antimissile au Japon en vue de militariser cette partie du monde, ainsi que sur les actions que les États-Unis justifient officiellement en invoquant la nécessité de neutraliser la menace nucléaire nord-coréenne. En réalité, ces actions créent des risques de sécurité pour la Russie et la Chine. «
Il est intéressant de noter que Lavrov a exprimé la préoccupation commune de la Russie et de la Chine concernant l’alliance de sécurité américano-japonaise et les déploiements de missiles américains au Japon. C’est un camouflet pour Tokyo dans la mesure où un collaborateur de Abe au sein du Parti libéral-démocrate au pouvoir (que Abe dirige) avait récemment fait une déclaration provocatrice selon laquelle les Etats-Unis devraient être intéressés à conclure un traité entre la Russie et le Japon, car cela « renforcerait le bloc » pour contenir la Chine. M. Lavrov a qualifié cette déclaration d’ »outrageante » et a exprimé aussi brutalement que possible l’indignation de la Russie à l’égard de tout stratagème japonais visant à créer des idées fausses sur les relations entre la Russie et la Chine :
« Le problème, c’est que le président du Parti libéral-démocrate est le premier ministre Shinzo Abe. Nous avons émis un avertissement sérieux sur le caractère inapproprié de telles déclarations. Nous nous sommes également enquis de manière plus générale de la manière dont le Japon peut être indépendant lorsqu’il s’agit d’aborder des questions qui dépendent fortement des États-Unis. On nous a assuré que le Japon prendrait ses décisions en fonction de ses intérêts nationaux. Nous aimerions qu’il en soit ainsi ». (Voir un rapport détaillé du China Daily intitulé Russia tells Japan retaking Pacific islands not on horizon.)
Autant en ce qui concerne les frontières occidentales de la Russie avec l’Europe, l’Asie-Pacifique devient aussi une région où la politique de Moscou sera fortement influencée par le nouveau climat en matière de sécurité internationale. Cela vaut également pour d’autres régions.
La Russie sera certainement encore plus méfiante face à toute occupation illimitée de l’Afghanistan par les États-Unis et l’OTAN. La contestation russo-américaine concernant la Turquie deviendra plus complexe. (Le déploiement de missiles américains en Turquie était un problème fondamental lors de la crise des missiles à Cuba en 1962.) De nouveau, il semblerait qu’une expansion massive des bases américaines au Qatar est en train de se mettre en place (siège du commandement central américain). Le Qatar est le site potentiel pour le déploiement de systèmes de missiles américains. En effet, dans ces circonstances, les relations entre la Russie et l’Iran revêtent un caractère hautement stratégique. L’autonomie stratégique de l’Iran est d’un intérêt vital pour la Russie.
Les Balkans sont une autre région à laquelle les stratégies russes donneront la priorité. Poutine s’embarque aujourd’hui pour une visite en Serbie, qui est un allié clé, mais où les conditions peuvent se présenter pour une éventuelle impasse entre l’Occident et la Russie comme cela s’était produit en 2014 en Ukraine. Dans une interview aux médias serbes, Poutine s’est fortement exprimé sur la politique d’expansion de l’OTAN, qu’il a condamnée comme « une stratégie militaire et politique malavisée et destructrice ». Il a accusé l’Alliance d’ »essayer de renforcer sa présence dans les Balkans ». Il ne fait aucun doute qu’une période de tensions accrues en matière de sécurité internationale s’annonce avec la décision des États-Unis d’abandonner le traité INF.
Source : https://indianpunchline.com/debris-of-inf-treaty-will-fall-far-and-wide/