Pendant 45 minutes, des avions israéliens ont lancé en plusieurs vagues 45 missiles en plein jour et après minuit contre de nombreuses cibles syriennes, le jour même où s’ouvrait le sommet arabe pour le développement économique et social dimanche à Beyrouth.
Israël, qui est reconnu pour ses doubles messages cachés, a laissé vraiment peu de place au hasard en violant l’espace aérien du Liban et en bombardant la Syrie pendant le sommet. La faiblesse du système politique libanais, otage des humeurs et des menaces arabes et internationales, empêche le pays d’avoir son propre système de défense antiaérienne qui protégerait et préserverait sa souveraineté, mais qui rendrait aussi les bombardements israéliens contre la Syrie plus difficiles.
Des sources sur le terrain affirment que “la Syrie a riposté en lançant cinq missiles de précision contre plusieurs cibles militaires israéliennes mais qu’un seul a été intercepté par le dôme de fer israélien. Cela pourrait expliquer la première attaque israélienne de ce type contre ce type d’attaques multiples”.
Au moment même où les envoyés arabes prenaient leur déjeuner à Beyrouth, des avions israéliens survolaient le Liban pour bombarder des cibles autour de l’aéroport de Damas et ailleurs au pays, sous le prétexte de « viser des cibles iraniennes en Syrie ». Le message d’Israël est clair. Pourtant, ni l’agression contre le Liban (la violation de son espace aérien), ni le bombardement de la Syrie, un pays arabe à qui l’on empêche de réintégrer la Ligue arabe et qui joue un rôle fondamental au Moyen-Orient, n’ont entraîné de condamnation ou la moindre réaction de la part des Arabes.
Un autre message qui ressort des attaques contre la Syrie pendant le Sommet arabe est celui-ci : Israël n’est pas l’ennemi d’une bonne partie des responsables arabes présents au Liban. En effet, Israël jouit d’une relation à la fois ouverte et secrète avec de nombreux pays du Moyen-Orient qui ne veulent pas s’en prendre à Tel-Aviv, qui voient toute résistance contre Israël comme désespérément inadaptée et qui considèrent « l’Armée de la résistance » comme le seul ennemi à abattre qui reste.
Le Liban assume sa part de responsabilités dans cette situation. Bon nombre de ses dirigeants politiques refusent de doter l’armée d’armes perfectionnées, notamment d’un système de défense antiaérienne qui pourrait riposter à la violation quasi-quotidienne par air, mer et terre de la souveraineté libanaise par Israël. La Russie et l’Iran ont chacun offert d’équiper l’armée libanaise de batteries de missiles plus qu’adéquates, mais en vain. C’est que les USA et le R.U. offrent généreusement divers programmes de formation aux officiers de la sécurité intérieure, de l’armée et de la sécurité extérieure du Liban, ainsi qu’à ses forces spéciales, du matériel « non meurtrier » et suffisamment d’armes pouvant être utilisées en cas de guerre urbaine dans le pays. Les USA et le R.U. exercent de la pression sur les dirigeants politiques libanais pour qu’ils refusent tous les cadeaux et tous les approvisionnements d’armes à bas prix de la part des Russes ou des Iraniens, bref tout ce qui pourrait constituer une menace à la suprématie et à la domination militaire israélienne.
Le Liban est divisé sur la question, mais ne peut pas faire grand-chose. L’élite politique libanaise a des connexions avec l’Occident qui sont loin d’être simples, tout comme avec les pays arabes. Du point de vue politique, ses dirigeants ne sont pas indépendants mentalement et préfèrent ne pas froisser leurs amis, en particulier l’administration américaine et l’Arabie saoudite, un proche allié des USA complaisant. Ceux-ci considèrent la résistance libanaise locale (le Hezbollah) comme une organisation terroriste, en raison du danger qu’elle représente pour les plans expansionnistes d’Israël en Palestine et au Liban, et de son rôle dans l’échec de l’objectif occidental qui était un « changement de régime » en Syrie, la partition de l’Irak et le contrôle du Yémen par les Saoudiens.
L’administration américaine justifie son incapacité à livrer des armes perfectionnées au Liban par « la crainte qu’elles ne tombent aux mains du Hezbollah ». Contrairement à l’armée libanaise, le Hezbollah constitue une armée irrégulière motivée et idéologiquement organisée, qui est particulièrement bien entraînée pour toutes les formes de combat. Elle possède aussi les armes les plus perfectionnés, y compris des missiles sol-sol à carburant solide et des missiles sol-air qui répondent à ses besoins de mobilité et de déploiement rapide en cas de guerre contre Israël. Elle a occupé Beyrouth en l’espace de quelques heures et repris un territoire beaucoup plus grand que le Liban pendant la guerre qu’elle a menée en Syrie. Il est inutile de comparer les deux armées, car il y a trop de différences en matière de compétences et d’idéologie. Par conséquent, l’affirmation des USA semble non fondée, mais elle vise à protéger Israël et à permettre à son armée de disposer du territoire de son voisin en toute tranquillité.
Le comportement condescendant des USA à l’égard des responsables libanais était manifeste lors de la visite ce mois-ci du sous-secrétaire d’État aux affaires politiques David Hale au Liban, à la place du secrétaire d’État Mike Pompeo, qui lui s’est rendu dans plusieurs pays arabes du Moyen-Orient. Hale a souligné le faux « exploit » des USA, à savoir le démantèlement de Daech, alors que c’est principalement le Hezbollah qui a défait le groupe terroriste et al-Qaeda au Liban et à sa frontière avec la Syrie (avec une présence et une contribution symboliques de l’armée libanaise). Hale n’a pas hésité à s’en prendre au Hezbollah en tant que « milice qui ne rend pas de compte au peuple libanais », en ignorant le fait que le groupe est formé en grande partie de ce même peuple, et qu’il reçoit l’appui de plus de la moitié de la population libanaise, qu’elle soit chiite, sunnite, chrétienne ou druze.
Hale n’a pas hésité à s’interférer dans « le choix du gouvernement libanais », en brandissant la menace du fardeau « économique » pour « éviter tout nouveau dommage » si le Hezbollah, qui compte des dizaines de députés soutenus par les deux tiers du parlement, est inclus dans le nouveau gouvernement. Le groupe a demandé au ministre de la Santé et n’a pas caché son intention de réduire le prix des médicaments pour diminuer une facture salée, et d’établir une production locale afin de réduire la corruption endémique dont souffre la société libanaise. Les USA ne veulent pas voir le Hezbollah obtenir un ministère en pensant que cela pourrait redorer son blason à l’échelle locale et accroître ses appuis sur la scène libanaise. Les USA semblent ignorer le fait que loin d’être une entité distincte des chiites libanais, le Hezbollah en est une composante intégrante.
Hale a établi un plafond inatteignable en prétendant que les USA sont en mesure « d’expulser jusqu’à la dernière botte iranienne ». L’Iran a été invité par le gouvernement de Damas pour empêcher le changement de régime et le contrôle absolu de la Syrie par les djihadistes. L’Iran a été invité également par le gouvernement de Bagdad, où il est toujours présent avec la Russie dans un centre opérationnel conjoint, afin de soutenir la lutte contre Daech. Les USA ne peuvent dicter d’aucune façon à l’Irak le retrait des conseillers iraniens du pays. Des responsables iraniens et américains travaillent au contraire à des centaines de mètres les uns des autres et les deux parties échangent des renseignements secrets liés au combat contre Daech.
En Syrie, la situation entre les USA et l’Iran est bien différente. The Levant a une frontière commune avec Israël, ce qui fait « atteindre des sommets » à la priorité des USA de soutenir l’ambition de Tel-Aviv sur les hauteurs du Golan occupé et de calmer sa crainte de « l’Axe de la résistance » si près de sa frontière, même si le président al-Assad (le père comme le fils) n’avait pas tiré une balle en sa direction en 30 ans (avant 2011). Les USA n’ont pas été invités en Syrie, contrairement à l’Iran, et n’ont pas l’intention de quitter le passage frontalier d’al-Tanf entre la Syrie et l’Irak, malgré l’absence de Daech. De plus, Trump a exprimé sa volonté de se retirer seulement après avoir fait entrer dans les provinces d’Hassaké et de Raqqa (où sont déployées les forces américaines) un autre occupant : la Turquie.
L’administration américaine exerce des pressions sur les pays de la Ligue arabe pour qu’ils freinent leur ambition de ramener la Syrie dans leur nid et de s’engager dans sa reconstruction. Elle organise une occupation turque du nord-est de la Syrie. Elle impose ses vues au Liban, en le menaçant de nouvelles sanctions pour contrer le Hezbollah, mais sans succès. Elle empêche le Liban d’acquérir un système de missiles défensifs qui stopperait Israël de bombarder la Syrie. Ses intentions sont clairement de laisser le Levant en ébullition et instable, ce qui est à l’avantage d’Israël, dont les responsables disent sans ambages : « Nous préférons voir Daech à notre frontière! »