Nouveau scandale pour Facebook : des documents internes, publiés jeudi, démontrent à quel point le réseau social a profité de la naïveté des enfants, à l’insu de leurs parents, pour faire des profits.
Un mineur de 15 ans qui dépense 6 500 dollars en deux semaines en s’adonnant à des jeux sur Facebook. Une autre de 12 ans qui achète pour près de 1 000 dollars d’objets virtuels sur Ninja Saga, un jeu populaire sur le réseau social. Ces deux cas étaient au cœur d’un recours collectif en justice intenté contre le géant d’Internet, en 2012, et qui s’est achevé par un règlement à l’amiable en 2016.
Près de trois ans plus tard, l’association américaine de journalisme d’investigation Center for Investigative Reporting a réussi à publier, jeudi 24 janvier, 135 pages de documents internes à Facebook qui avaient été versés au dossier juridique contre le groupe en 2012.
Le réseau social s’était toujours opposé à ce que ces communications internes soient rendues publiques, arguant qu’elles pouvaient être exploitées par des concurrents. Mais ces documents, qui couvrent une période allant de 2010 à 2014, dépeignent surtout le comportement prédateur d’une société n’hésitant pas à profiter de la naïveté d’enfants pour améliorer ses profits. Car ces mineurs n’étaient pas conscients des dépenses, réalisées sans l’accord des parents.
Les plus jeunes utilisateurs de Facebook représentaient une source de revenus non négligeable, surtout pour une entreprise qui se préparait à faire son entrée en Bourse en 2012, et qui avait besoin d’augmenter ses revenus pour impressionner les investisseurs. Entre octobre 2010 et janvier 2011, les enfants avaient dépensé 3,6 millions de dollars en achat d’objets virtuels ou améliorations pour des jeux comme PetVille, Happy Aquarium ou encore Barn Buddy, révèle l’un des documents publiés par le Center for Investigative Reporting. Facebook prélevait une commission sur chaque transaction.
En interne, les employés de Facebook qualifiaient les plus dépensiers de ces enfants de “baleines”, un terme emprunté au jargon des casinos où il désigne les joueurs qui misent et perdent gros. Le réseau social savait aussi que les enfants et les parents n’étaient souvent pas conscients de l’argent qui partait ainsi en fumée. “Ils n’avaient pas compris que Facebook gardait les informations de la carte de crédit”, remarque le Center for Investigative Reporting. Les boutons permettant d’acheter des objets virtuels dans les jeux “ne donnent pas nécessairement l’impression au mineur qu’il s’agit de dépenser de l’argent réel”, remarque un employé de Facebook dans un courriel.
Les demandes de remboursement systématiquement contestées
Environ 9 % des transactions effectuées dans les jeux sur Facebook donnaient lieu à des demandes de remboursement de la part des sociétés de carte de crédit, arguant des erreurs. Un pourcentage bien supérieur à la moyenne américaine “qui s’élève à 0,5 % des transactions pour une société”, souligne le Center for Investigative Reporting. La Federal Trade Commission (FTC), le gendarme américain de la concurrence, estime qu’au-delà de 2 % de demandes de remboursement il existe un soupçon de comportement “trompeur” de la part de l’entreprise concernée.
Facebook n’a, dans un premier temps, pas cherché à mettre un terme à ces dérives. Bien au contraire. Les documents internes prouvent que le groupe a même contesté systématiquement les demandes de remboursement “sans même vérifier si elles étaient valides”, note le Center for Investigative Reporting. Les développeurs de jeux pour Facebook étaient par ailleurs incités à offrir des objets virtuels plutôt qu’accéder aux demandes de remboursement.
Ce n’est qu’à l’issue du procès, dans le cadre du règlement à l’amiable en 2016, que le géant de la Silicon Valley a bien voulu revoir ses règles. “Nous avons accepté de mettre à jour nos règles et avons mis en place des ressources spécifiques pour gérer les demandes de remboursement d’achats faits par des mineurs sur Facebook”, a expliqué le groupe au Center for Investigative Reporting.
Ce nouveau scandale vient s’ajouter à la montagne de casseroles – commerce des données personnelles, Cambridge Analytica, prolifération des “fake news” durant l’élection présidentielle américaine – que Facebook traîne depuis plus d’un an. Il montre aussi une certaine constance dans les comportements moralement discutables.