« Une de mes filles est morte de faim et de froid, et la deuxième est en train de mourir ». Dima Qatrane n’oubliera jamais ses derniers jours dans l’ultime bastion du groupe jihadiste Etat islamique (EI) dans l’est de la Syrie.
Proches de combattants de l’EI ou civils, ils sont des milliers à avoir fui ces derniers jours le fief des jihadistes près de la frontière irakienne, cible d’une offensive des Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance dominée par les Kurdes et soutenue par la coalition antijihadistes menée par Washington.
Affrontant le froid du désert et la nuit, la jeune femme de 22 ans, mère de jumelles de onze mois, a entrepris à pied un périple de plusieurs heures, avant d’atteindre les secteurs tenus par les FDS.
Ces derniers vont désormais l’emmener, avec des centaines d’autres personnes, dans des camps de déplacés gérés par les Kurdes dans le nord du pays.
Lors d’une halte de son convoi près du champ pétrolier d’Al-Omar, tenu par les FDS dans la province de Deir Ezzor, Dima s’est confiée à une journaliste de l’AFP.
Elle jure n’avoir aucun lien avec les jihadistes –« j’ai peur d’eux » dit-elle– et assure qu’elle veut retrouver son mari, cuisinier en Turquie.
« J’ai enterré une de mes filles », se lamente la jeune maman. La deuxième « a la diarrhée et n’arrête pas de vomir », ajoute-t-elle.
Avec l’aide de la coalition, les FDS ont progressivement conquis l’écrasante majorité du réduit de l’EI dans la province de Deir Ezzor, acculant les jihadistes dans quelques hameaux.
Sous le coup de l’offensive, des centaines de personnes voulant échapper aux combats et à la mort fuient quotidiennement le secteur.
« Rien à manger »
« On a dormi 11 jours dehors, notre maison a été bombardée », assure Mme Qatrane, qui a vécu un an dans le village de Baghouz.
La jeune femme n’en est pas à son premier déplacement, à l’image de millions de personnes en Syrie, en guerre depuis 2011.
Elle raconte avoir quitté avec la famille de son mari la province d’Alep, dans le nord, pour se rendre dans la province de Deir Ezzor. Là, elle est d’abord restée à Boukamal, arrachée à l’EI par les forces du régime fin 2017. Elle s’est ensuite rendue à Baghouz, à quelques km de là.
« Quand arriverons-nous ? » au camp de déplacés d’Al-Hol, s’interroge une des femmes lors de la halte près du champs pétrolier.
Certaines réclament à boire et à manger, assurant être restées sans nourriture pendant des jours. Les nouveaux-nés hurlent, malgré les supplications des mères éreintées, qui tentent de les calmer. Des enfants ont le visage recouvert de poussière, certains souffrent d’éruptions cutanées.
Selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), 8.000 personnes ont quitté depuis lundi les derniers territoires de l’EI près de la frontière irakienne, dont un millier de jihadistes. Un chiffre qui s’élève à environ 29.000 personnes depuis début décembre.
Face à son nouveau-né en pleurs, Sarah al-Sahar fait les cents pas et le berce doucement. Sans succès.
« Il a faim et il est malade », explique la jeune femme de 32 ans, mère de deux enfants. « Il n’y avait rien à manger là-bas. Il n’y avait rien, pas même des couches », ajoute-t-elle, évoquant les derniers territoires de l’EI.
Elle a marché six heures avant de finalement atteindre les premiers barrages des FDS. Elle aussi assure n’avoir aucun lien avec les jihadistes, même si son témoignage est difficile à vérifier de manière indépendante.
« Ils ne nous autorisaient pas à partir, on a essayé trois fois, et ils nous ont ramenés », explique Mme Sahar.
« On était bien »
Pour la seule journée de vendredi, environ 750 personnes sont arrivées dans les territoires des FDS, principalement des familles de jihadistes de nationalité irakienne, selon un responsable d’un conseil administratif local mis en place par les FDS, Mohamed Souleimane Othmane.
Parmi elles, 14 femmes étrangères et leurs enfants –des Russes, des Ukrainiennes ou encore des Turques– vont être transférés vers un centre spécialisé pour y être interrogés.
Les femmes sont regroupées avec leur progéniture dans une grande pièce.
Mariam, une Ukrainienne de 20 ans, allaite son enfant, hésitant à répondre aux questions de la journaliste de l’AFP. « Je dois me reposer avant de me souvenir de ce qui m’est arrivé », justifie-t-elle, en arabe classique.
Parmi le groupe qui a quitté les territoires de l’EI, 150 hommes soupçonnés d’être des jihadistes ont été séparés des civils près du front et resteront aux mains des FDS, selon le responsable M. Othmane.
Oum Baraa a elle perdu son mari jihadiste dans un raid de la coalition. Face aux derniers revers enregistrés par l’EI, elle ne cache pas sa tristesse.
« On était bien (…) s’il n’y avait pas eu la progression (des FDS), on ne serait pas sortis », lâche la jeune femme de 20 ans. « Aujourd’hui, on ne sait pas ce qui nous attend ».