La politique africaine de la France est le parent très pauvre du grand débat national, pourtant ce sujet était inscrit dans la toute première charte des Gilets Jaunes. Parmi ces revendications figuraient « la fin du franc CFA et des ingérences politiques et militaires ; le rapatriement des soldats français et l’établissement de rapports d’égal à égal avec les États africains ».
Dès l’apparition de ces « doléances » sur les réseaux sociaux, les nombreuses diasporas africaines vivant dans l’Hexagone, qui étaient jusque-là restées dans l’expectative, ont ainsi apporté leur soutien au mouvement.
Tous ces sujets deviennent de plus en plus brûlants. Se taire, se terrer dans le déni, ou se complaire dans l’aveuglement, permet, en outre, de conforter tous les Etats, qui instrumentalisent – à l’instar de la Russie, de la Chine, de l’Allemagne, des États-Unis, ou ceux, qui, en plein jour, attisent le ressentiment anti-français, à l’instar des attaques récentes du gouvernement italien. Il en va, faut-il le rappeler, d’une guerre commerciale et de desseins stratégiques qui prennent le continent africain en otage.
Mais sur ce sujet, comme sur d’autres, le président de la République reste désespérément flou, et semble vouloir se murer dans une logique « verticale » qui est le propre de son action publique. Nul étonnement donc, les mêmes ornières qui l’empêchent de sortir de ses certitudes finissent par enterrer la singularité de notre politique africaine.
Faute d’avoir été choisi d’une manière transparente et en carence de représentativité au sein des diasporas, les membres du Conseil Présidentiel pour l’Afrique (CPA) restent de grands inconnus sans réelle légitimité. Les représentants très actifs des sociétés civiles africaines, comme les chercheurs, journalistes, militants et activistes des droits de l’homme, jeunes entrepreneurs de la nouvelle économie n’arrivent plus à décrypter les bons niveaux de décisions ni à comprendre les raisons de celles-ci.
Alors que la fin de la « FrancAfrique » reste un vœux pieux, les différents interlocuteurs officiels : le ministre des Affaires Étrangères, Jean-Yves le Drian, son directeur Afrique, Rémy Maréchaux, le Conseiller Afrique de l’Elysée, Franck Paris, le Directeur général de l’Agence française de Développement, Rémy Rioux ; sans omettre les « visiteurs du soir » du 2, rue de l’Elysée (siège de la cellule Afrique), cultivent une divergence d’approche et d’analyse, qui nuit, sur le terrain, à la pérennité et à la légitimité de notre action.
Il est donc plus qu’urgent de mettre la politique africaine de la France au menu du grand débat national, et ce, afin d’apporter les nécessaires clarifications. Comme rappelé, c’est bien l’absence de réponse qui renforce l’inquiétude.
La question du Franc-CFA est, de ce point de vue, primordiale tant elle agite les populations africaines concernées et résonne désormais en écho sur le débat européen.
Lors de son premier discours sur sa politique africaine, en novembre 2017, à Ouagadougou, Emmanuel Macron avait déclaré être favorable à un changement de nom ou de périmètre de cette monnaie. Depuis, ce sujet n’a plus été abordé. Le gouvernement italien, qui ne rate pas une occasion de s’en prendre au chef de l’Etat français, a bien compris l’intérêt de jouer sur cette corde ultra-sensible. Le 22 janvier dernier, en accusant la France d’appauvrir l’Afrique en maintenant la colonisation à travers le FRCFA, et d’être par conséquent à l’origine du drame des migrants en Méditerranée, Luigi Di Maio, le vice-président du Conseil italien, par ailleurs, chef de file du mouvement 5 étoiles, a été ovationné par les opinions publiques africaines francophones.
Est-il utile de donner autant de bâtons pour se faire battre ? Certes, cette déclaration s’apparente plus à un règlement de compte ; Rome et Paris se disputant un leadership libyen sans aucun résultat tangible de part et d’autre.
En prime, l’Italie a beau jeu de se faire passer pour un chevalier blanc alors qu’elle fut, elle aussi, une puissance colonisatrice sur le continent africain et qu’elle espère toujours jouer un rôle notable à Tripoli.
Le besoin de clarification est aussi impérieux dans le domaine de la démocratie sur le continent. A force de négliger des principes intangibles, la France ne cesse de s’en remettre à des valeurs qui sont autant de géométries variables. Le dernier exemple à l’aune des élections en République Démocratique du Congo a démontré à quelle point la parole de Paris était devenue inaudible. S’exprimant sur un scrutin contesté et contestable, Jean-Yves le Drian a estimé que les résultats de cette élection, qui déclarait Félix Tshisekedi président, n’étaient pas conformes et que l’autre opposant, Martin Fayulu était a priori le vainqueur.
Peu importe qu’il ait tort ou raison, d’ailleurs. Le simple fait de ne s’être jamais exprimé lors d’autres élections non-crédibles et d’avoir validé des scrutins non-transparents, à l’instar de l’élection présidentielle au Mali en juillet-août 2018 ou au Cameroun, en octobre de la même année, rend la prise de position du ministre français des Affaires étrangères au mieux ambiguë.
Le besoin de clarification sur tous ces sujets, comme sur d’autres (restitution des biens culturels africains exposés dans les musées européens, transparence dans les contrats d’exploitation des riches du sous-sol…) est impérieux.
L’absence de prise en compte de ceux-ci participe au «french bashing», en vogue, depuis plusieurs années, sur le continent africain et désormais à nos frontières.
La meilleure manière de répondre au mieux aux intérêts des Français consiste encore à autoriser et à provoquer ce rendez-vous doublement citoyen, car il est âprement attendu des deux côtés de la mer Méditerranée…
Emmanuel Dupuy
Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE)
Leslie Varenne
IVERIS
source:https://www.iveris.eu/list/notes_danalyse/404-grand_debat_national_et_politique_africaine