Un peu plus de trois mois avant les élections européennes, les pays gouvernés par des chefs d’État «pro-Europe» ont imité l’Italie et durci leur politique migratoire. S’agit-il d’un calcul politique, ou les «populistes» ont-ils imposé leurs vues sur la question de l’immigration?
Les «populistes» ont-ils déjà gagné la bataille de l’immigration? À un peu plus de trois mois des élections européennes, plusieurs pays, dont les dirigeants s’étaient montrés favorables à une augmentation du nombre de migrants accueillis, mènent désormais une politique que prônaient les partis «populistes» il y a encore quelques mois.
Après s’être posé en sauveur de l’Aquarius, bateau chargé du sauvetage des migrants en péril sur la Méditerranée, en juillet dernier, le chef du gouvernement espagnol est le dernier chef d’État en date à avoir durci sa politique migratoire.
Un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur espagnol a en effet reconnu le 27 janvier que le gouvernement avait fait évoluer sa position en matière d’immigration. Interrogé par le quotidien El País, il a déclaré:
«Notre pression migratoire est énorme, et les règles ne sont pas appliquées en Méditerranée centrale [de l’Espagne à l’Italie en incluant Malte, ndlr]. Nous avons besoin d’une solution durable pour tous.»
Selon les données de l’agence européenne Frontex, l’Espagne était en 2018 le premier point d’entrée de l’immigration clandestine en Europe, avec près de 57 000 arrivées; une situation qui ne s’endigue pas puisque, selon les chiffres officiels espagnols, 3.000 personnes ont rejoint illégalement l’Espagne sur les deux premières semaines de janvier, près du double des chiffres de 2018.
Début janvier déjà, Madrid n’avait, pour la première fois depuis l’arrivée de Pedro Sanchez au pouvoir en 2018, pas participé à un schéma de répartition des migrants; condition sine qua non pour que La Valette et Rome acceptent d’ouvrir leurs ports aux bateaux organisant des missions de sauvetage, et avait ainsi laissé les autres états membres se charger d’accueillir ces migrants. À cette non-participation à la répartition européenne s’ajoute désormais la fin de l’octroi de permis d’accoster pour les bateaux de secours aux migrants.En modifiant sa politique migratoire, comme l’ont fait avant l’Italie ou Malte, Pedro Sanchez a deux objectifs. Le premier consiste à mettre la pression sur Bruxelles pour juguler les flux migratoires en négociant d’une part un traité avec le Maroc et, d’autre part, un compromis au niveau européen pour appliquer des règles communes dans toute la Méditerranée.
Pour autant, Pedro Sanchez n’est pas le premier à avoir tenu un discours humaniste avant de faire marche arrière. Sans parler d’Angela Merkel, dont le geste d’ouvrir les frontières a entamé durablement son crédit politique. Et Emmanuel Macron est également un bon exemple. Le 20 janvier dernier, en effet, le porte-parole du gouvernement rappelait l’idéologie macronienne en matière d’immigration dans le cadre du Grand Rendez-vous organisé par Europe 1, CNEWS et Les Echos:
«La politique du chiffre, c’est une politique qui est à mon sens assez inintelligible pour nos concitoyens. La question c’est de savoir, est-ce-qu’on garantit l’accueil inconditionnel et le droit d’asile? La réponse est oui», déclarait Benjamin Griveaux.
Mais, grâce à une pirouette politique, le porte-parole de l’exécutif avait ensuite plaidé pour des quotas européens, insinuant que cette solution s’inscrivait dans l’idéologie humaniste revendiquée par Emmanuel Macron:
«Moi je crois, au fond, à des objectifs chiffrés européens. […] L’Europe doit s’emparer de ce débat et parce que la base de l’Europe c’est la solidarité entre pays européens, la solidarité elle doit aussi jouer sur la question migratoire», a-t-il continué.
Un discours tenu tout en sachant que de nombreux pays, comme l’Italie, l’Autriche ou le groupe de Visegrad, refusent l’idée même de quotas et rendraient n’importe quel objectif européen d’accueil de migrants dérisoire.D’autant plus que Luigi di Maio, chef politique du Mouvement 5 étoiles et pilier de la coalition au pouvoir à Rome, avait durement critiqué la politique française en Afrique la veille, estimant qu’elle était (l’une des) responsables de la crise migratoire. Le ministre italien a en effet déclaré que:
«Si aujourd’hui il y a des gens qui partent, c’est parce que certains pays européens, la France en tête, n’ont jamais cessé de coloniser des dizaines de pays africains.»
Derrière les belles intentions françaises ou espagnoles, la politique menée en réponse à la crise migratoire s’est bel et bien durcie ces derniers mois. Au point de dire que les populistes ont déjà gagné la bataille? Réponse au lendemain des européennes, le 27 mai prochain.