Cela fait plus de trois ans que la Corse n’avait plus connu ça. Des bateaux scotchés à quai.
Depuis janvier 2016 et la bataille navale qui avait mis aux prises des marins grévistes de l’ex-SNCM et le consortium Corsica Maritima, après le blocage du Stena Carrier par la CGT devant le port de Marseille, plus aucun mouvement de grève n’était venu perturber le trafic. La route maritime entre la Corse et le continent était (enfin !) devenue un long fleuve tranquille. Du moins, le croyait-on.
La grève pointe de nouveau son nez dans les ports de l’île, et sur celui de Marseille au grand dam du monde économique insulaire et des vacanciers. Sauf changement soudain de cap, les bateaux de la Compagnie méridionale de navigation (CMN) ne prendront pas la mer à compter d’aujourd’hui, pour une durée de 24 heures reconductibles. Sous le coup de deux préavis de grève déposés par le STC puis par la CGT, la plus vieille compagnie maritime desservant la Corse depuis 1937, adossée à un grand groupe européen de transport, la STEF, et d’ordinaire peu habituée aux conflits sociaux, est dans la tourmente.
La future délégation de service public inquiète les salariés
Au coeur de la tempête : une inquiétude grandissante des salariés de La Méridionale. La Collectivité de Corse (CdC) a fait savoir à la compagnie le 13 février dernier qu’elle était en mauvaise posture en vue de la délégation de service public (DSP) maritime entre la Corse et Marseille. La CMN serait évincée de la compétition sur deux des cinq lignes, à Ajaccio et Propriano, pour lesquelles elle a candidaté pour cette DSP transitoire de quinze mois, qui entrera en vigueur le 1er octobre 2019 jusqu’au 31 décembre 2020. Elle ne resterait en course que pour les ports de Bastia, Porto-Vecchio et l’Ile-Rousse. La situation pourrait, en outre, ne pas tourner en sa faveur sur le premier. Résultat : les salariés de La Méridionale s’interrogent sur la stratégie de leur direction dans le cadre de la DSP, sur laquelle est basée la totalité de l’activité de ses trois navires. Le STC estime que la compagnie a répondu de façon « légère » à l’appel d’offres et n’a pas déposé de propositions permettant de conserver au moins l’un des ports principaux, Bastia ou Ajaccio.
« La Méridionale répond à des appels d’offres depuis quarante ans, martèle Cyril Venouil, délégué STC à la CMN. Il est inconcevable, alors qu’elle candidate sur cinq lots, qu’elle puisse être écartée sur deux d’entre-deux avant même l’ouverture des négociations utiles. Avec trois navires, la compagnie ne possède pas le nombre de bateaux suffisant pour se positionner sur tous les lots. Mais elle aurait dû sécuriser l’un des deux ports principaux. Car la casse sociale serait sans précédent ».
Selon les syndicats, environ 500 personnes, dont près de 200 en Corse, pourraient être impactées. Le responsable de cette mauvaise posture : pour le STC, il s’agit sans conteste du directeur général de la compagnie, Benoît Dehaye, dont le syndicat réclame le « départ immédiat ».
Fustigeant le « silence » de l’actionnaire, le STC exige un conseil d’administration en urgence, ainsi qu’une « clarification et un engagement ferme » de La Méridionale et de STEF dans la perspective de la mise en place d’une compagnie régionale.
La CGT réclame de nouvelles négociations
Dans ce contexte électrique, la CGT, qui appelle ses militants et les usagers à manifester ce matin devant les locaux de la CMN sur le port de Bastia, y va également de sa touche. Le syndicat souhaite que de nouvelles négociations soient engagées entre La Méridionale et son actuel co-délégataire, Corsica Linea, « afin de garantir le maintien des emplois, appuie Fabrice Murati, délégué CGT. Corsica Linea est visiblement dans l’optique d’être seule sur le marché, mais nous pouvons travailler ensemble sur les ports principaux. Il y a de la place pour tout le monde ».
Il faut dire que La Méridionale se retrouve dans une situation inédite. Historiquement associée à la CMN pour la desserte de la Corse, Corsica Linea(ex-SNCM) a pris le large vis-à-vis de son ancien partenaire. La compagnie aux bateaux rouges a choisi d’affirmer son indépendance et de candidater en solo pour cette DSP de quinze mois, présentée comme un test en vue de l’attribution de la future délégation de service public, qui durera dix ans.
Si La Méridionale n’a pas donné suite à nos sollicitations, le 18 février dans un communiqué rendu public à l’issue d’un comité d’entreprise extraordinaire, la direction de la CMN a fait part de son intention de contester son éviction sur les lignes d’Ajaccio et de Propriano. Selon la compagnie, elle serait relative « à la substitution de navires affrétés sur chacune de ces deux destinations entre la réponse initiale formulée le 5 novembre dernier et la conclusion effective des chartes d’affrètement, indique la direction de la CMN. Dans les deux cas, les nouveaux navires répondent aux impératifs du cahier des charges en matière de métrage de fret, de hauteur sous pont, de puissance et de longueur pour manoeuvrer dans chacun des ports dans lesquels ils auraient à opérer« .
Soumis à un devoir de réserve, l’exécutif de la collectivité de Corse garde le silence. Demeure toutefois une interrogation : comment l’exécutif nationaliste, qui avait hissé le devenir des emplois et le refus des situations de monopole au rang de « priorités » pour la desserte maritime de la Corse, pourra-t-il décliner ces principes au regard de la nouvelle donne constituée par cet appel d’offres ?