Iran : pourquoi Zarif a présenté sa démission

Le chef de la diplomatie iranienne, visage modéré du régime et artisan de l’accord sur le nucléaire, a annoncé son départ. Le président Rohani l’a refusé.

La nouvelle a fait l’effet d’une bombe en Iran. Lundi soir, l’expérimenté ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, l’un des principaux artisans de l’accord sur le nucléaire iranien, a annoncé sur Instagram qu’il quittait ses fonctions. « Je m’excuse de ne plus être capable de continuer à mon poste et pour tous mes manquements dans l’exercice de mes fonctions », a écrit le chef de la diplomatie iranienne sur le réseau social, secouant malgré l’heure tardive bon nombre de ses compatriotes, chez qui cette figure modérée de la République islamique est très populaire.

« Je pense que votre démission va à l’encontre de l’intérêt du pays et je ne l’approuve pas » , a réagi mardi le président iranien Hassan Rohani, seule personne à même de refuser le départ de son ministre, dans une lettre adressée à Mohammad Javad Zarif, publiée sur le site internet du gouvernement iranien.

Âgé de 59 ans, ce bouillonnant fonctionnaire, formé aux États-Unis et rompu aux codes de communication occidentaux, est à la tête des Affaires étrangères depuis la première élection du président Hassan Rohani en 2013. Négociateur en chef pour l’Iran de l’accord sur le nucléaire, conclu de haute lutte en juillet 2015 entre Téhéran et les grandes puissances (États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni, France et Allemagne), Mohammad Javad Zarif est l’un des plus ardents défenseurs de ce texte, qui a considérablement restreint le programme nucléaire iranien en échange de la levée des sanctions internationales contre la République islamique. Or, cet accord multilatéral est en suspens depuis le retrait unilatéral des États-Unis en mai 2018 et l’adoption par Donald Trump de sanctions drastiques contre le secteur financier et pétrolier de l’Iran en août et novembre 2018.

Fustigé par les conservateurs iraniens, qui l’accusent d’avoir bradé le programme nucléaire du pays pour n’obtenir en retour que de nouvelles sanctions de Washington, Mohammad Javad Zarif reste déterminé à maintenir coûte que coûte une relation étroite avec l’Europe pour sauver l’accord, que l’Iran respecte toujours selon le quatorzième rapport l’Agence internationale de l’énergie atomique. S’exprimant le 17 février dernier lors de la conférence annuelle sur la sécurité de Munich, le chef de la diplomatie iranienne avait néanmoins jugé insuffisante la réponse européenne pour sauver cet accord, à savoir la création d’un mécanisme européen d’échanges commerciaux – baptisé Instex – visant à continuer à commercer avec l’Iran en dépit des sanctions américaines. « [Le mécanisme de l’]Instex ne remplit par les engagements du E3 [France, Royaume-Uni et Allemagne, éd.] pour sauver l’accord sur le nucléaire », avait déploré Mohammad Javad Zarif.

Déjà, dans une interview exclusive accordée au Point en décembre dernier, Mohammad Javad Zarif faisait part de son pessimisme en estimant que les « Européens ont fait des efforts, mais qu’ils ne sont pas prêts à payer un certain prix ». Et de résumer la situation par cette expression persane : « Ils veulent nager sans pour autant se mouiller. » Depuis le retrait américain de l’accord sur le nucléaire, la monnaie iranienne a perdu environ la moitié de sa valeur, tandis que le prix des denrées alimentaires a augmenté de près de 56 % entre novembre 2017 et novembre 2018, frappant de plein fouet la population.

« La décision de Zarif [de démissionner] n’est pas très étrange », analyse Hamzeh Safavi, professeur de sciences politiques à l’université de Téhéran. « Car, dans les faits, l’accord sur le nucléaire iranien est un échec, et Mohammad Javad Zarif ne peut plus y faire grand-chose. » À en croire l’agence de presse Reuters, qui cite l’un de ses proches, le ministre a annoncé son départ sous la pression des « durs » du régime. « Il y a eu toutes les semaines des réunions à huis clos où de hauts responsables l’ont bombardé de questions sur l’accord et sur ce qui allait se passer maintenant », explique ce proche.

Autre écueil sur la route du diplomate, l’impossibilité pour le pouvoir iranien de se conformer aux critères internationaux du Groupe d’action financière (Gafi) contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, notamment en raison du blocage du Conseil de discernement et de l’intérêt supérieur du régime, une instance dominée par les conservateurs iraniens. Or, cette condition est réclamée de longue date par les Européens pour continuer à pouvoir commercer avec Téhéran.

Signe de l’affaiblissement du ministre iranien, son absence lundi lors d’une visite-surprise à Téhéran du président syrien Bachar el-Assad, pour la première fois depuis le début de la guerre en Syrie en 2011. Ce dernier a pu s’entretenir avec le guide suprême et véritable chef de l’État iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, le président de la République islamique Hassan Rohani, ainsi que le chef de la force al-Qods (branche extérieure des Gardiens de la révolution, NDLR), le puissant général Qassem Soleymani. D’après le site d’information iranien Entekhab, Mohammad Javad Zarif n’aurait pas apprécié d’être ainsi mis sur la touche, ce qui aurait directement motivé sa démission.

Pour Ali Motahari, vice-président du Parlement et soutien du gouvernement, « la principale raison de cette démission est l’interférence de certains organismes n’ayant rien à faire dans la politique étrangère du gouvernement », une allusion à peine voilée aux Gardiens de la révolution, la puissante armée idéologique du régime qui obéit directement aux ordres du Guide suprême et dont les généraux opèrent d’Irak au Liban, laissant peu de marge de manoeuvre au chef de la diplomatie.

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