L’institution créée en 1634 doit voter ce jeudi un rapport sur la féminisation des noms de métier. Un tournant symbolique attendu depuis longtemps.
C’était une promesse de l’Académie française. En novembre 2017, Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l’institution,promettait à la Cour de cassation qu’elle se pencherait sur la féminisation des noms de métier « désignant les fonctions publiques ».Une équipe de quatre académiciens, composée de Danièle Sallenave, Michael Edwards et Dominique Bona et présidée par Gabriel de Broglie, a donc travaillé à un rapport de 22 pages, qui sera soumis aux votes des Immortels jeudi prochain. Selon L’Express, le texte est favorable à l’emploi du féminin pour plusieurs noms de métier, alors que la position de l’institution du quai de Conti s’y oppose depuis plus de trente ans. « Ce rapport s’est fait dans un esprit d’ouverture, car l’Académie a conscience que certains féminins créent encore un malaise aujourd’hui », explique Dominique Bona, qui espère que le rapport sera adopté. Elle cite pêle-mêle « écrivaine, ambassadrice, présidente ». « C’est flou. » Le rapport est néanmoins susceptible d’être modifié avant sa publication.
Si une majorité de la population utilise déjà ces féminins, l’Académie assume sa position « non contemporaine » sur le sujet. Pas plus tard qu’en 2016, elle déconseillait encore la féminisation des noms de titres, grades et fonctions officielles. La secrétaire perpétuelle Hélène Carrère d’Encausse insiste d’ailleurs pour se faire nommer « Madame le Secrétaire perpétuel », et elle n’est pas la seule. Fin 2017, c’est un homme, le sénateur Gérard Longuet, qui s’était adressé à la secrétaire d’État à la Transition écologique Brune Poirson en lui donnant du « Madame le Ministre » en plein hémicycle. Ce à quoi l’élue avait sèchement répondu qu’il fallait commencer par respecter l’égalité femme-homme pour prétendre répondre aux aspirations des Français.
Trente-cinq ans de bataille
Le combat contre la féminisation des noms de métier ne date pas d’hier. En 1984, le gouvernement diffusait une circulaire proposant une « féminisation des titres et fonctions et, d’une manière générale, le vocabulaire concernant les activités des femmes ». À l’époque, on manque de vocabulaire et une commission de terminologie est chargée d’inventer de nouveaux mots. Résultat, une levée de boucliers de la part de l’Académie française, qui s’y oppose fermement en arguant que le genre masculin est préférable car neutre et non marqué. Encore aujourd’hui, Dominique Bona reconnaît que « le masculin est vraiment hégémonique sur le féminin ». Mais elle tient à rappeler que l’institution « défend la langue et non pas les femmes ».
Serait-ce une forme d’hypocrisie ? « L’Académie française travaille depuis le XVIIe siècle à masculiniser la langue alors qu’elle n’est pas faite pour ça, rappelle Éliane Viennot, professeure de littérature française de la Renaissance à l’université Jean-Monnet à Saint-Étienne. S’ils ont un peu bossé, ils vont se rendre compte que professeuse, autrice, defenseuse existent depuis longtemps dans la langue française. » En effet, si l’Académie a toujours condamné l’usage de ces féminins, plusieurs linguistes en ont retrouvé trace dans la littérature ancienne. Eliane Viennot rappelle sur son site que le terme « ambassadrice » était recensé dès 1694 dans le dictionnaire de… l’Académie. Plus polémique, le mot « autrice » était employé par Guillaume Briçonnet dans sa lettre à Marguerite d’Angoulême datée du 31 août 1524.
« Pouvoir de nuisance »
Depuis quelque temps, des universitaires dénoncent l’influence néfaste de l’Académie française sur la langue. Éliane Viennot rappelle d’ailleurs que l’institution, créée par Richelieu en 1634, n’a aucun pouvoir législatif, contrairement à la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) qui est rattachée au ministère de la Culture. C’est elle qui, via sa commission d’enrichissement de la langue française, avait notamment recommandé le terme « infox » pour remédier à l’anglicisme « fake news » en 2018.
« Depuis la présidence du général de Gaulle, l’Académie n’a plus qu’un pouvoir de nuisance », explique Eliane Viennot. La linguiste rappelle par exemple que « c’est elle qui a mis son veto à la réforme de l’orthographe en 1990 ». Cette réflexion concernait environ 2 000 mots dont l’orthographe semblait désuète : Nénufar au lieu de nénuphar, ognon à la place d’oignon ou maitresse et non plus maîtresse. À l’époque l’Académie – qui siège à la commission – rend un avis défavorable et la circulaire ministérielle paraît au Journal officiel en toute discrétion… jusqu’en 2016, à l’occasion d’une polémique sur l’emploi du mot « ognon ». En effet, si les recommandations du Conseil supérieur de la langue française n’ont jamais été imposées par l’État, les manuels scolaires et dictionnaires ont progressivement adopté les réformes. Ce qui fait dire à Eliane Viennot qu’« aujourd’hui ce sont plutôt les dictionnaires Le Robert et Larousse qui font évoluer la langue ». En effet, l’Académie n’est pas réputée pour sa réactivité : l’écriture de son dernier dictionnaire a débuté en 1936 et devrait être terminée d’ici à 2020. « L’académie doit prendre son temps », répond Dominique Bona.
De leur côté, les féminins de métier comme « auteure » ou « écrivaine » sont entrés dans l’usage, même si certains mots tels qu’« autrices » font encore hurler certains. « Si l’Académie vote ce rapport, ce sera un grand pas en avant, on ne sera plus devant un interdit académique pour la féminisation des métiers », estime Dominique Bona dans une interview à Libération. Le rapport ne vient-il pas un peu tard ? « En tout cas, il ne vient pas tôt », conclut-elle.