Au Salon de Genève, le Brexit dur mine un moral déjà en berne

Un grand patron en prison, le bras de fer sino-américain, le casse-tête de la voiture propre et, maintenant, le Brexit dessinent une année 2019 catastrophe.

« On n’avait vraiment pas besoin de ça. » Cet observateur résume bien l’état d’esprit des constructeurs à la veille de l’ouverture à la presse du Salon de Genève, le public attendant jeudi pour se précipiter au Palexpo (jusqu’au 17). Ils verront en un raccourci saisissant l’état des forces en présence puisque les absents sont, comme à Paris l’an dernier, nombreux. Et l’un des écueils les plus redoutables est fourni par le Royaume-Uni, acteur capital de la construction automobile européenne, même s’il ne compte plus de marques généralistes.

Assembleur pour le compte de marques non britanniques qui représentent 90 % de son activité, son poids industriel et économique va constituer une redoutable inconnue dans le contexte d’un retrait du marché unique. À trois semaines du divorce programmé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, l’industrie automobile va profiter du Salon de Genève pour mettre en garde contre une séparation sans accord, véritable scénario catastrophe pour la filière. Passage en revue des conséquences prévisibles.

Mot d’ordre : fuyez !

« Le marché automobile britannique est très intégré au marché européen. La production britannique de véhicules légers est exportée à 80 % vers le continent et, pour produire ces véhicules, près de 60 % de la valeur est importée de l’UE », explique Tommaso Pardi, le directeur du Groupe d’études et de recherche permanent sur l’industrie et les salariés de l’automobile (Gerpisa), dont le siège est à Paris.

En cas de Brexit dur, « on aura de 10 % à 14 % de droits de douane sur les pièces et composants à l’entrée et à la sortie du Royaume-Uni, l’équation économique ne tiendra plus, ce ne sera tout simplement plus possible de produire profitablement en Grande-Bretagne » pour exporter vers l’Europe, poursuit cet expert. En effet, les marges dans cette industrie sont seulement « de l’ordre de 5 % quand tout va bien ».

Le constructeur japonais Honda a récemment annoncé la fermeture de son usine de Swindon (Sud-Ouest) tandis que Jaguar Land Rover va supprimer 4 500 emplois, soit plus de 10 % de ses effectifs au Royaume-Uni. Des décisions « liées au Brexit », affirme M. Pardi, même si les entreprises concernées s’en défendent.

Un Brexit dur entraînerait, selon lui, d’autres coupes chez Nissan, Ford ou Opel, les entreprises ayant déjà toutes des plans B pour déplacer leur production vers d’autres sites dans le monde prêts-à-monter en cadence. « Tout le monde s’y prépare, même si tout le monde n’a pas fait d’annonces », dit-il.

« Les usines des constructeurs et équipementiers britanniques sont de plus en plus vides. La Première ministre Theresa May risque de devenir le fossoyeur de l’industrie automobile anglaise », affirme aussi Ferdinand Dudenhöffer, le directeur du Center Automotive Research (CAR), qui a son siège en Allemagne. « Sortons au plus vite du Royaume-Uni semble le mot d’ordre actuellement », ironise-t-il.

Hausse insupportable des tarifs

En cas de Brexit dur, la livre sterling « s’effondrera et très probablement de nombreux constructeurs automobiles devront augmenter leurs prix pour protéger leurs marges, ce qui provoquera un effondrement du marché britannique », expliquait en février Carlos Tavares, le patron du groupe français PSA et président de l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA).

Les usines britanniques ne pourraient-elles pas produire pour leur propre marché pour éviter cette inflation importée ? « 90 % des ventes sont réalisées par des importateurs », souligne M. Pardi, pour qui le tissu industriel britannique n’est pas prêt à prendre le relais : « La base de sous-traitants s’est beaucoup affaiblie ces vingt dernières années, ils ne sont absolument pas en mesure de monter en cadence dans des délais courts et il y a plein de choses que les Britanniques ne savent plus produire. »

L’expert confirme qu’il faudrait s’attendre à une montée brutale des prix des voitures au Royaume-Uni et donc à une chute du marché à court terme. Or, avec 2,37 millions de voitures particulières immatriculées l’an dernier, ce pays est le deuxième marché en Europe, derrière l’Allemagne, mais devant la France et l’Italie.

Dégâts collatéraux à l’Europe

La chute du marché britannique toucherait de plein fouet les constructeurs européens qui y sont implantés. Les groupes allemands, dont le Royaume-Uni représente le premier marché d’exportation en volume, en seraient les premières victimes, mais les Français n’en sortiraient pas indemnes.

Pour la seule Allemagne, 15 000 emplois seraient alors menacés, d’après une étude de l’institut IWH.

L’effet le plus important d’un Brexit dur « ne serait pas véritablement son impact direct, mais beaucoup plus son impact indirect », expliquait toutefois en février le directeur général de Renault, Thierry Bolloré, en présentant les résultats de son groupe.

« D’après toutes les simulations, ça toucherait l’économie générale de la Grande-Bretagne, mais aussi celle de l’Europe », selon lui.

Or, une baisse de croissance se traduit toujours par une baisse des ventes de véhicules. Il faudrait donc s’attendre à un retournement brutal du marché européen qui ferait très mal à la filière, dans un contexte international déjà difficile. Un dossier anglais à haut risque dont se seraient bien passés les constructeurs européens qui ont bien d’autres dossiers brûlants à traiter.

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