A Lille, musique et poésie pour aborder le drame du conflit syrien

« Folie de la guerre et guerre à la folie »: avec « Syrian Voices », l’Orchestre National de Lille (ONL) présente vendredi une création inédite et participative, où musique, poésie et psychiatrie s’entremêlent autour du conflit syrien.

Fruit de deux ans de travail, cette oeuvre protéiforme associe un choeur amateur oriental, un poète, des solistes, des pianistes et un joueur de serpent, avec pour toile de fond la guerre meurtrière qui ravage la Syrie depuis huit ans.

« C’est une sorte de plongée dans un univers poétique porté par la musique », résume Benjamin Attahir, artiste en résidence à l’ONL depuis janvier 2018. « Le texte et la musique vont chacun là où ils doivent aller, ce qui aboutit à une vibration. »

Nommé aux dernières Victoires de la musique, le jeune compositeur d’origine libanaise, profondément influencé par les musiques du Moyen-Orient, a tissé le fil musical de cette création originale avec le souci d’en extraire une ligne directrice.

Sur scène, trois niveaux de dramaturgie se répondent, portés par des sonorités mélancoliques: la poésie syrienne, la psychiatrie et le journalisme. A l’image d’un reportage de la reporter Edith Bouvier, blessée à Homs en 2012.

« Nous avons voulu traduire cette situation complexe de la violence avec un travail de contrepoint » superposant les couches, explique à l’AFP le dramaturge Lancelot Hamelin, qui a imaginé cette oeuvre avec Benjamin Attahir lors de leur rencontre à la Villa Médicis de Rome.

« Il y a la langue des journalistes occidentaux, qui se retrouvent là-bas avec leurs points de vue et leurs témoignages, la psychiatrie qui crée de la profondeur et de la distance, et les +Syrian voices+, les voix des poètes modernes », énumère-t-il.

Un enchevêtrement jusqu’à l’oralité: les poèmes sont récités en français et en arabe.

« Je les considère comme la voix du peuple syrien et de l’ensemble du monde arabe, loin de la propagande et de la politique », glisse le poète syrien Saleh Diab, auteur d’une anthologie de poésies dont il lit des extraits sur scène.

Alep, regards croisés

A l’heure où la bataille contre le dernier réduit du groupe Etat islamique (EI) fait rage à Baghouz, « Syrian Voices » (« Aswat Assourya » en arabe) condamne la violence mais ne se veut pas engagée « pour ou contre » le président Bachar al-Assad.

« L’idée n’était pas de parler de la guerre en Syrie en se posant en donneur de leçons, car la réalité de ce qui s’y passe nous échappe grandement », souligne M. Hamelin.

« Nous nous sommes plutôt demandés en quoi cela nous concerne dans notre société » occidentale. Or, « il me semble qu’on vit une forme de guerre contre les gens les plus fragiles, et notamment les fous », estime-t-il.

Ainsi est né le parallèle avec la psychiatrie, « une sorte de lieu de scène où peuvent se rencontrer la folie de la guerre et la guerre à la folie menée dans notre société à travers les politiques psychiatriques (…) contre les gens qui ne sont pas dans les normes ».

A travers un hôpital psychiatrique, au Moyen-âge et de nos jours, le spectacle met la lumière sur Alep, ville symbole de la civilisation syrienne et martyrisée par la guerre qui a fait plus de 360.000 morts depuis 2011.

En commandant cet objet musical vertigineux, l’ONL confirme sa stratégie d’ouverture à de nouveaux formats.

« La musique symphonique et l’exigence artistique restent au coeur de notre activité, mais cela permet de s’ouvrir à des publics différents », confie François Bou, directeur général de l’ONL.

Qu’elle soit éphémère ou reprise par d’autres orchestres, cette création prendra, à terme, la forme d’un oratorio qui sera dirigé à Berlin par le chef d’orchestre Daniel Barenboim.

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