Le 54e dialogue Europe-Turquie, qui s’est tenu vendredi à Bruxelles, illustre à quel point l’Union européenne est toujours aussi ambiguë vis-à-vis de l’adhésion d’Ankara. Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu l’a rappelé sans détour :
« L’Europe doit remplir ses engagements inscrits dans les conclusions du Conseil européen de mars 2008. J’ai répété que nous escomptons l’ouverture de 4 nouveaux chapitres de négociations. » À ce jour, seuls 16 chapitres sur 35 ont été ouverts.
De son côté, le Conseil européen a rappelé qu’en vertu de ses conclusions du 26 juin 2018, la « Turquie s’éloigne de plus en plus de l’Union européenne » conduisant à un « arrêt » des négociations d’adhésion.
« La régression persistante d’Ankara »
L’abandon des négociations va devenir un thème de la campagne des européennes. Manfred Weber, le spitzenkandidat du PPE (parti européen partenaire de Laurent Waquiez), entend faire de l’abandon des négociations d’adhésion un point clivant de sa campagne afin de fermer cet angle de critique à sa droite. Cependant, tous ne sont pas sur cette ligne au PPE. Les Polonais, qui ont une proximité politique ancienne avec la Turquie, ne sont pas aussi fermés à la poursuite des négociations.
Federica Mogherini, la haute représentante pour les relations extérieures et le commissaire Johannes Hahn, en charge des négociations d’élargissement, n’ont pas manqué de rappeler à la Turquie que l’Union européenne demeure préoccupée par la « régression persistante » d’Ankara dans les domaines des droits fondamentaux, de l’État de droit ainsi que la dégradation de l’indépendance du pouvoir judiciaire en Turquie.
On remarquera toutefois que de plus en plus de pays appartenant à l’Union, de la Pologne ultraconservatrice à la Hongrie nationaliste en passant par la Roumanie socialiste, ont également pris des libertés avec l’État de droit, l’indépendance de la presse et de la justice…
En Turquie, 4 000 magistrats ont été limogés par décret à la suite de la tentative de coup d’État le 15 juillet 2016. Une fois de plus, l’UE appelle la Turquie à veiller à ce que ses projets de réforme du système judiciaire soient conformes aux normes européennes et à celle du Conseil de l’Europe. En février, un rapport voté par la commission des Affaires étrangères du Parlement européen appelait à suspendre les négociations d’adhésion de la Turquie. Ankara avait qualifié ce vote d »inacceptable »…
Le problème chypriote
Les discussions engagées sous l’égide l’ONU en vue de réunifier Chypre – à l’arrêt depuis 2017 – n’ont pas pu reprendre à l’issue d’une rencontre entre les parties le 26 février 2019. Les représentants des deux côtés de l’île sont restés sur leurs positions. Les Chypriotes turcs craignent d’être privés de pouvoir décisionnel dans un État fédéral. La Grèce, qui soutient la République de Chypre (partie sud de l’île), exige des garanties sur le retrait des quelque 35 000 soldats turcs stationnés dans le nord de l’île. Federica Mogherini a rappelé qu’il était « toujours essentiel que la Turquie s’engage et contribue au processus et à un règlement juste, global et viable dans le cadre des Nations unies ».
La situation chypriote s’est encore compliquée avec la découverte de gaz offshore au large de l’île. Mevlüt Cavusoglu a annoncé que la Turquie allait, « dans les prochains jours », entamer des opérations de forage avec deux navires. « Que ceux qui viennent de loin avec leurs entreprises voient que sans nous, ils ne peuvent rien faire dans cette région », a ajouté le ministre qui visait les grands groupes occidentaux. Les appétits sont aiguisés. La République de Chypre, membre de l’Union européenne, a signé ces dernières années des contrats d’exploration avec des géants des hydrocarbures (l’italien ENI, le français Total ou encore l’américain ExxonMobil). Erdogan n’entend pas laisser partir ce trésor en hydrocarbures et a déjà bloqué, début 2018, un navire du groupe ENI au large des côtes chypriotes…