Les violences qui ont accompagné la manifestation à Paris des Gilets Jaunes ont à nouveau marqué les esprits. Et quand on parle de violence, il convient ici de séparer les violences hélas habituelles de la mise en danger de la vie d’autrui dans l’incendie d’une agence bancaire. Il faut cependant clairement remettre les faits dans leur contexte.
Ces violences dans leur grande majorité et dans le cas des actes les plus graves, n’ont pas été le fait des Gilets Jaunes, mais de groupes que l’on appelle les « Blacks Blocs » qui ont bénéficié d’une étrange impunité. De plus, ces violences ne doivent pas masquer le succès des manifestations dans toute la France, manifestations qui semblent avoir réunies plus de 200 000 personnes suivant des sources indépendantes.
Mais, il est clair que nous sommes désormais à un tournant. Les violences du samedi 16 mars le marquent.
Un mouvement qui dure
Il convient avant toute chose d’énoncer ce qui peut paraître pour une évidence, mais qui doit être rappelé. Plus de trois mois se sont donc écoulés depuis les premières occupations et manifestations de Gilets Jaunes. Nul mouvement social n’avait duré aussi longtemps ni d’ailleurs bénéficié d’un tel soutien dans la population. On peut s’interroger sur l’avenir de ce grand mouvement social qui est unique tant par sa durée que par son ampleur, mais il convient de constater que jusqu’à présent il a déjoué toutes les attentes du pouvoir. Bien des mots ont été utilisés depuis le début: « reflux », « stagnation », « recrudescence »… Ils ne servent qu’à occulter l’essentiel: jamais plus les relations et la vie politiques ne seront comme avant. Au-delà des violences, le mouvement, né sur les ronds-points, a unifié des couches de la population tout comme des personnes qui n’avaient logiquement pas vocations à se rencontrer. C’est cela qui fait sa nouveauté mais aussi son importance.Les différents pouvoirs, mais aussi les différents partis —de « gauche » comme de « droite »- ont cru pouvoir acheter ou réduire au silence cette population. Mais ce peuple de France venu des grandes comme des petites villes, des espaces délaissés comme de ceux de la rurbanisation, de la ruralité comme des quartiers, s’est réveillé. C’est ce peuple, de nombreuses études le montrent, qui en 1992 s’était exprimée en disant Non à Maastricht et qui, en 2005, avait rejeté le projet de traité constitutionnel lors du référendum avant de se voir voler sa décision par une alliance de tout ce que la France compte de politiciens honnis lors de la ratification du Traité de Lisbonne par le Congrès. C’est donc ce peuple qui aujourd’hui a refait surface, sur les ronds-points ou dans la rue, dans le calme mais aussi parfois dans la violence, réaffirmant ses aspirations avec force, conviction, détermination.
L’attitude du gouvernement
Tout fut tenté pour casser ce mouvement, pour briser cette lame de fond. Il y a d’abord une répression policière, mais aussi de la justice, hors du commun. Les violences policières ont été massives. Le nombre des personnes éborgnées ou mutilées en fait foi. Il ne faudrait pas non plus oublier que cette répression policière a tué, à Marseille. La condamnation par la Conseil de l’Europe ou par les Nations-Unies montre l’émotion universelle qu’a soulevée cette violence policière. Il faut ici rendre grâce et saluer les quelques journalistes qui n’ont jamais failli et qui tiennent à jour la liste des conséquences de ces violences policières. Mais, le comportement de la Justice est aussi à retenir. Nous avons vu des juges oublier qu’ils parlent au nom du peuple français pour revêtir à la place de l’hermine l’uniforme de la répression. Cela non plus était depuis des dizaines d’années sans exemple, et cela non plus ne sera pas oublié.Le silence et le mépris d’Emmanuel Macron, les discours du gouvernement, les provocations, la propagande et enfin la calomnie la plus crasse et la plus ignoble, ont été de mise. Tout a été tenté pour discréditer cette mobilisation au point de laisser paraitre un pouvoir affolé, apeuré, incapable de répondre, d’affronter politiquement la réalité. Pourtant, tout cela n’est pas parvenu à diminuer le soutien massif de la population. Le pouvoir, et le Président, sont à nu. Ils sont empêtrés dans des tentatives désespérées pour nier le rejet massif du gouvernement, de sa « majorité », et de sa politique.
Quel avenir?
Ce mouvement a fait bouger les tréfonds de la société française. Il exprime un rejet massif, un rejet global, tant de la politique que de la forme de pouvoir qu’incarnent Emmanuel Macron. C’est ce qui explique la concentration des critiques sur sa personne. C’est une majorité de femmes et d’hommes, d’ouvriers, de salariés, de travailleurs indépendants et de petits patrons et d’artisans, de jeunes et de retraités, une majorité issue d’horizons divers, qui ne veut plus ni du pouvoir ni de la politique qui se sont incarnés dans Emmanuel Macron comme ils s’étaient incarnés hier dans François Hollande ou Nicolas Sarkozy. Il faut le comprendre si l’on veut en tirer les conséquences. Une majorité de nos concitoyens a exprimé un refus conjoints de ce que l’on peut appeler le « bloc bourgeois » mais aussi les partis qui le représentent, que ces partis s’avouent logiquement de droite ou prétendent se parer dans les étendards de la « gauche ». Ce rejet concerne aussi des vieilles catégories, de « droite », de « gauche », du « centre », ou des « extrêmes ». Ces catégories aujourd’hui n’ont pas plus de sens les unes que les autres.
La prégnance du mot d’ordre « Macron démission » mais aussi de revendications politiques et sociales chez les Gilets jaunes témoigne de l’homogénéité du mouvement. Ce mouvement est porteur d’aspirations et de revendications communes. Ces aspirations sont d’autant plus embarrassantes pour le pouvoir qu’elles sont aujourd’hui incontournables mais aussi parce qu’elles sont directement contradictoires avec la politique de l’Union européenne et avec le cadre de fer imposé à la France par l’euro. La revendication à la souveraineté nationale, à la justice sociale unifient le mouvement, tout comme la condamnation des violences policières et judiciaires et le rejet de l’UE.Ce mouvement a conduit le pouvoir à une impasse. C’est l’un des enseignements qu’ils faut retenir. Mais, ce mouvement doit se trouver sa forme d’expression politique, forme qui ne peut être l’un des partis existants, sinon la spirale de violence dans laquelle nous sommes aujourd’hui clairement engagés sera sans effets et sans fin?
Auteur : Jacques Sapir
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