Serbie : Zoltan Dani, l’homme qui a abattu « l’avion invisible »

« Désolé, nous ne savions pas qu’il était invisible! ». Impuissante face aux frappes de l’Otan en 1999, l’armée serbe doit à Zoltan Dani un rare succès: ce boulanger a abattu un F-117, le chasseur furtif américain.

Par cette phrase moqueuse sur des T-shirts ou des banderoles dans des réunions politiques, les Serbes ont longtemps célébré ce fait d’armes survenu près de Belgrade, le 27 mars 1999, trois jours après le déclenchement des frappes dont le vingtième anniversaire est commémoré dimanche.

Après onze semaines, les bombardements occidentaux avaient forcé les autorités serbes à retirer leurs troupes de leur province méridionale du Kosovo, où elles combattaient une guérilla indépendantiste albanaise.

Rare succès militaire serbe durant la campagne de l’Otan, la chute du F117 près de Belgrade a valu un statut de héros national à cet homme aujourd’hui âgé de 62 ans. Ainsi qu’une improbable rencontre avec le pilote américain, Dale Zelko, revenu à Belgrade en 2012 à l’occasion de la présentation du documentaire « The Second Meeting », « La deuxième rencontre ».

Dans son village de Skorenovac, au nord-est de Belgrade, Zoltan Dani se souvient de cette nuit passée avec l’unité anti-aérienne qu’il dirigeait dans la plaine du Srem, à l’ouest de la capitale serbe. Ses radars captent un avion, il ordonne un barrage de missiles, et acquiert la conviction d’avoir fait mouche, raconte-t-il à l’AFP.

« Oh… bingo! », réagit Zoltan Dani quand il apprend qu’il a abattu un F-117, appareil aux allures futuristes façon « Guerre des Etoiles », censé être indétectable par les radars. Aucun autre cas de F-117 abattu en opération n’est connu. Le pilote américain est récupéré et évacué par un hélicoptère de l’Otan, mais ce revers occidental est pleinement utilisé par la propagande de Slobodan Milosevic.

Membre de la minorité hongroise de Serbie, Zoltan Dani est promu colonel puis prend sa retraite en 2004 pour ouvrir une boulangerie à Skorenovac (nord).

Quand huit ans plus tard Dale Zelko vient en Serbie, « mon fils est allé l’accueillir à l’aéroport de Belgrade », « lorsqu’il est arrivé nous nous sommes salués » et « je lui ai dit: ‘mon ami tu as franchi 10.000 km pour venir m’aider' », « je lui ai tendu un tablier, il l’a pris et nous avons travaillé ensemble », se souvient Zoltan Dani.

Les deux hommes se rendent ensuite au musée de l’Armée de l’Air à Belgrade où Zelko tombe en arrêt devant un morceau de l’appareil qu’il pilotait: « Hé! C’est à moi! », le voit-on plaisanter dans le documentaire.

Lors de sa visite, Dale Zelko avait expliqué à la presse serbe que cette mission avait été sa dernière dans l’US Air Force.

Quand le réalisateur lui avait proposé ce documentaire, Zoltan Dani avait d’abord refusé. « Puis je me suis dit qu’un film sur notre rencontre serait l’occasion d’adresser un message commun de paix et de compréhension », se souvient-il.

Les frappes de l’Otan restent vécues comme un profond traumatisme et une humiliation en Serbie, y compris par ceux qui s’opposaient au régime de Slobodan Milosevic et à ses velléités d’imposer une hégémonie serbe en Yougoslavie.

« Je suis désolé pour votre souffrance, pour la douleur, les pertes et l’angoisse. Je suis désolé pour la guerre », avait dit Dale Zelko lors de la projection de « Second meeting » à Belgrade. L’année suivante, Zoltan Dani, son épouse et un de ses fils lui avaient rendu sa visite dans le New Hampshire.

Il dit rester en contact avec l’Américain depuis sa maison du nord de la Serbie, qu’il a transformée en musée, avec au mur des photographies et… un morceau d’aile du chasseur américain.

La campagne de l’Otan avait fait perdre à la Serbie le contrôle de sa province du Kosovo qui a déclaré son indépendance en 2008. Celle-ci est reconnue par les principaux pays occidentaux, mais pas par Belgrade, ni par deux membres du Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie et la Chine.

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