L’instance chargée de tirer les leçons des dictatures en Tunisie a appelé dans son rapport final publié aujourd’hui, à réformer les institutions marquées par la corruption et la répression, et demandé que le chef de l’Etat présente des excuses aux victimes.
Créée en 2014, dans le sillage de la chute de Ben Ali en 2011, l’Instance Vérité et Dignité (IVD) a achevé son mandat fin 2018, et pu finalement publier ses recommandations visant à asseoir le démocratisation de la Tunisie, seule rescapée du Printemps arabe.
Les principaux dirigeants tunisiens, chargés dans le cadre du processus de justice transitionnelle de faire appliquer ces recommandations, ont néanmoins rechigné à recevoir publiquement ce rapport, après s’être opposés aux travaux de l’IVD. Dans son volumineux rapport, l’IVD appelle notamment à des réformes afin de «démanteler un système de corruption, de répression et de dictature» au sein des institutions de l’Etat, afin de s’assurer qu’il n’y ait «pas de reproduction des violations des droits humains». Elle réclame ainsi un renforcement de l’indépendance des magistrats et des tribunaux administratifs, ou encore une protection légale pour les témoins et victimes dans les cas de corruption.
L’IVD appelle à une restructuration des forces de sécurité afin «d’introduire plus de transparence et de contrôle, et des pratiques respectueuses du droit», et de s’assurer que ces forces restent «loin de toute instrumentalisation politique». Elle suggère la création d’une «instance de contrôle de la police indépendante» des forces de sécurité, et d’une agence de renseignement dépendant directement du président de la République, soumise à un contrôle parlementaire. Cela vise à prévenir les dérives des services sécuritaires et «leur implication dans la protection de systèmes corrompus et dans des violations graves».
L’IVD appelle le président de la République Béji Caïd Essebsi en tant que «symbole de l’Etat» à présenter des excuses à toutes les victimes ayant subi des violations commises par des représentants de l’Etat dans la période concernée, entre 1955 et 2013. Cela couvre la présidence de Habib Bourguiba (1957-1987), de son successeur Zine el Abidine Ben Ali (1987-2011), mais aussi les troubles post-révolutionnaires. L’IVD recommande des excuses sous forme d’un discours à l’adresse des victimes, et qu’un monument soit érigé sur un lieu qui serait baptisée «place des excuses». Elle souhaite que l’accès aux archives de l’IVD sur les violations soit ouvert notamment aux personnes souhaitant produire des fictions ou documentaires sur ces faits afin de «préserver la mémoire nationale pour les générations futures».
Lors d’une cérémonie organisée aujourd’hui, le rapport de l’IVD a été remis à un collectif de la société civile en Tunisie. «C’est un jour de fête parce que ce processus a réussi malgré les difficultés», s’est félicitée Raoudha Karafi, présidente d’honneur de l’Association des magistrats tunisiens. «C’est un moment crucial pour la Tunisie: la façon dont le gouvernement réagit aux conclusions du rapport sera un test crucial de son engagement véritable envers les droits humains», a souligné Fida Hammami, chercheuse à Amnesty International, appelant les autorités à «briser le cercle vicieux de l’impunité qui a entravé les progrès en matière de droits humains depuis des décennies».