Une explosion, une fusillade et puis plus rien… La policière philippine Ruby Buena n’oubliera jamais ce jour de 2018 où elle a vécu dans sa chair la violence de la rébellion communiste qui a débuté voilà tout juste un demi-siècle dans son pays.
« J’ai cru que mon heure avait sonné », raconte la jeune femme de 25 ans. Elle s’est réveillée à l’hôpital avec « seulement » le bassin fracturé. Trois de ses collègues avaient péri dans l’explosion d’une bombe artisanale dans le centre de l’archipel.
Les Philippines sont confrontées à des gangs crapuleux se livrant aux enlèvements contre rançon, à des mouvements jihadistes. Mais de tous les groupes armés, la Nouvelle armée du peuple (NPA) est un des plus meurtriers.
Et après des décennies de vaines tentatives de paix, rien ne permet d’espérer une issue à l’insurrection communiste.
C’est le 29 mars 1969 que fut fondée la NPA, branche armée du Parti communiste des Philippines (PCP) créé quelques mois plus tôt par Jose Maria Sison. Objectif? L’avènement d’un Etat maoïste.
Or les idées communistes ont toujours séduit dans un archipel à la pauvreté et aux inégalités criantes.
40.000 morts
La rébellion connut un net essor lors de la dictature Marcos (1972-1986), au cours de laquelle des dizaines de milliers d’opposants furent torturés, sur fond de recul des libertés.
Dans les années 1980, le mouvement comptera 26.000 combattants. Ses effectifs sont aujourd’hui de l’ordre de 4.000, selon les estimations de l’armée.
Son bastion est le sud des Philippines, mais la NPA compte aussi des ramifications dans le centre de l’archipel, et un peu dans le Nord.
A en croire des chiffres officiels rarement actualisés, la rébellion communiste aurait fait 40.000 morts, soit moins du tiers de l’insurrection séparatiste musulmane du Sud.
Mais si l’activisme du principal groupe rebelle musulman, le Front Moro islamique de libération (Milf), a cessé depuis l’accord de paix signé en 2014 avec le gouvernement, la NPA est toujours active.
Aucune statistique complète n’existe quant au nombre de civils et policiers tués par la rébellion marxiste. Des chiffres de l’armée montrent cependant que la NPA fut son adversaire le plus meurtrier sur la période 2014-2018, au cours de laquelle 444 militaires furent tués.
Un bilan plus lourd que celui qui peut être imputé au groupe islamiste Abou Sayyaf, spécialisé dans les enlèvements contre rançon, ou aux factions jihadistes se revendiquant du groupe Etat islamique (EI) et qui ont été responsables de flambées de violence périodiques, comme l’insurrection de la ville de Marawi en 2017.
« La plus grande menace »
Des jihadistes avaient pris le contrôle de quartiers entiers de cette ville du Sud et résisté pendant cinq mois à l’armée. Environ 1.200 personnes périrent, essentiellement des insurgés selon le gouvernement.
« En ce qui concerne la sécurité nationale, la NPA constitue actuellement la plus grande menace », a déclaré à l’AFP Noel Detoyato, porte-parole de l’armée.
Sa longévité, la NPA la doit aussi à sa capacité à se financer, alors même qu’elle a été rangée par les Etats-Unis et l’Union européenne sur leur liste des organisations terroristes.
La rébellion a ainsi créé dans ses bastions un « impôt révolutionnaire », soit 2% prélevé sur les entreprises. Un revenu qui s’élève selon les estimations de la police à au moins 200 millions de pesos (3,3 millions d’euros) par an.
Les entreprises qui ne s’en acquittent pas s’exposent à de violentes représailles, comme des incendies criminels.
Cette année devrait être lucrative pour la rébellion en raison des législatives. Les candidats doivent en effet payer le droit de faire campagne dans des bastions de la NPA.
Un Philippin sur cinq vit avec moins de deux dollars par jour, ce qui est selon les experts une des clés de la longévité de la NPA.
« La NPA vit dans un environnement favorable », observe Rommel Banlaoi, président de l’Institut philippin de recherches sur la paix, la violence et le terrorisme.
« Les causes qui ont présidé à sa création il y a 50 ans, le fonctionnement féodal, la capitalisme bureaucratique et l’impérialisme, existent toujours », poursuit-il.
– « Classes exploitantes » –
De plus, l’économie philippine a beau connaître une des croissances les plus fortes d’Asie -6% par an en moyenne ces dix dernières années- les inégalités demeurent.
Et des décennies d’efforts de paix n’ont rien donné.
L’optimisme était revenu après l’élection en 2016 de Rodrigo Duterte, qui se définit comme socialiste et avait annoncé lors de son premier « discours sur l’état de la Nation » un cessez-le-feu unilatéral avec la rébellion communiste.
Le processus de paix avait été remis sur la table avant d’échouer et d’être formellement abandonné par le président en 2017. Dans un discours le 21 mars, M. Duterte a même déclaré que les communistes « pourraient peut-être parler un jour avec le prochain président ».
L’optimisme n’est plus de mise non plus chez le Parti communiste des Philippines (PCP). « Les forces révolutionnaires (…) n’ont d’autre choix que de poursuivre la guerre populaire jusqu’à la victoire totale », a déclaré à l’AFP son fondateur, M. Sison, qui vit en exil aux Pays-Bas.
« Si elles ne ripostent pas, elles n’auront d’autre choix que de subir le monopole de la violence des classes exploitantes ».