Après un mois de contestation exemplaire, les Algériens se réveillent, pour la première fois en 20 ans, sans Abdelaziz Bouteflika à la tête du pays mais, la joie passée, n’entendent pas baisser la garde et veulent désormais obtenir le départ de tout le « système » au pouvoir.
Le chef de l’Etat de 82 ans aura tenté de s’accrocher au pouvoir face à un mouvement populaire inédit. Mais il a démissionné mardi soir, quelques heures après avoir été défié par l’armée.
On y voit M. Bouteflika, qui semble fatigué, vêtu d’une gandoura (tunique nord-africaine) beige et assis dans un fauteuil roulant, remettant cette lettre, placée dans une chemise aux armes de la présidence, au président du Conseil constitutionnel Tayeb Belaïz, visiblement peu à l’aise.
Est également présent dans la pièce d’un endroit non précisé le président du Conseil de la Nation (chambre haute), Abdelkader Bensalah, 77 ans, pur produit du régime, chargé par la Constitution d’assurer l’intérim durant une période maximale de 90 jours au cours de laquelle une présidentielle doit être organisée.
A Alger, un concert de klaxons a accueilli la nouvelle et des Algérois, munis du désormais indispensable drapeau algérien, se sont rassemblés sur le parvis de la Grande poste, bâtiment emblématique du centre de la capitale, avant de défiler joyeusement dans les rues alentour.
Depuis plus d’un mois, des millions de manifestants à travers l’Algérie réclamaient dans le calme le départ d’Abdelaziz Bouteflika, mais aussi celui de son entourage et plus largement du « système » au pouvoir.
« Pas dupes »
Et la plupart des Algérois interrogés par l’AFP ont répété leur détermination à continuer de manifester malgré cette démission, refusant la transition prévue par la Constitution qui laisse aux commandes les acteurs du « système ».
Comme Yacine Saidani, ingénieur de 40 ans, beaucoup se disaient « contents mais pas dupes ».
Certains ont rendu hommage au chef de l’Etat, mais regretté son acharnement à s’accrocher au pouvoir, qu’ils ont souvent attribué à son frère et principal conseiller, Saïd.
« Bouteflika a travaillé, j’ai voté pour lui au début, mais il n’a pas su partir la tête haute », a déploré Bilan Brahim, 40 ans, cadre au chômage.
Pour Fatma Zohra, 65 ans, infirmière à la retraite, qui compte « marcher jusqu’au départ de la clique », Bouteflika « aurait pu partir avec les honneurs, mais son frère l’a fait sortir par la petite porte de l’Histoire ».
Confrontée à des manifestations massives chaque vendredi depuis le 22 février, la présidence s’était résolue lundi à annoncer dans un communiqué que M. Bouteflika démissionnerait avant l’expiration de son mandat, le 28 avril, après avoir pris des « mesures pour assurer la continuité du fonctionnement des institutions de l’Etat durant la période de transition ».
« Rupture de confiance »
Mais mardi, à l’issue d’une réunion des plus hauts gradés de l’armée, son chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, avait estimé que ce communiqué n’émanait pas du chef de l’Etat mais « d’entités non constitutionnelles et non habilitées », une allusion à l’entourage du président.
« Dans ce contexte particulier, nous confirmons que toute décision prise en dehors du cadre constitutionnel est considérée comme nulle et non avenue », avait poursuivi le général Gaïd Salah, laissant entendre que l’armée pourrait ne plus se soumettre aux décisions venant de la présidence.
Cette « accélération des événements (…) montre la rupture de confiance entre l’armée et le pôle présidentiel après plusieurs années de caution militaire à Bouteflika et de caution civile à l’armée », a expliqué à l’AFP Hasni Abidi, directeur du Centre d’Etudes et de Recherche sur le monde arabe et méditerranéen, à Genève.
Il y voit l' »impatience de l’armée de voir le président partir », en raison de la crainte de l’institution militaire « d’arriver à un vide institutionnel (…) si le président ne respectait pas ce délai de démissionner avant le 28 avril ».
Devant la Grande poste, où aucun incident n’a été signalé, Toufik, informaticien de 38 ans, « remercie l’armée » tout en soulignant que « maintenant, c’est au peuple de négocier la transition ».
Semaine après semaine, le président Bouteflika, qui n’apparaît quasiment plus en public depuis son AVC en 2013, a tenté de s’accrocher au pouvoir, multipliant les propositions assimilées par la rue à des manoeuvres, sans jamais réussir à calmer la contestation, dont le pacifisme constant au fil des semaines a été salué à travers le monde.
Massivement lâché jusque dans son camp, il s’était retrouvé ces derniers jours très isolé après que le général Gaïd Salah, indéfectible allié jusque-là, eut affirmé que son départ du pouvoir était la solution à la crise, position à laquelle se sont ralliés rapidement l’essentiel des piliers du régime.
« Nous sommes confiants dans la capacité de tous les Algériens à poursuivre cette transition démocratique dans ce même esprit de calme et de responsabilité » qui a prévalu ces dernières semaines, a déclaré mardi soir Jean-Yves le Drian, ministre des Affaires étrangères de la France, ancienne puissance coloniale de l’Algérie.
« Il revient aux Algériens de décider comment gérer cette transition en Algérie », a estimé de son côté le département d’Etat américain.