On en perd notre latin. Depuis son lancement par le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, et encore plus depuis son adoption en première lecture à l’Assemblée nationale le 19 février, le projet de loi « pour une école de la confiance » a suscité des interprétations aussi nombreuses que variées, plus ou moins erronées selon les sujets.
En attendant l’examen du projet de loi au Sénat début mai, les sept principales organisations syndicales de l’Éducation appellent ce jeudi à la grève, pour instaurer « un temps fort de mobilisations pour obtenir l’abandon du projet de loi Blanquer ». Mais rares sont les non-initiés qui savent ce qui se joue réellement avec cette loi.
« Face à la frénésie de changements, tout le monde est perdu, estime Jean-Jacques Renard, vice-président de la FCPE Paris. Quoi que le ministrepropose, les parents se méfient et suspectent que toutes les mesures sont destinées à supprimer des postes. Comme la loi est très technique, ils ont du mal à comprendre ce que Jean-Michel Blanquer veut vraiment. Ils s’en remettent aux enseignants, dont les propos les inquiètent. »
Fausses rumeurs
Résultat : d’incompréhensions en préoccupations, les questionnements des enseignants et des parents d’élèves se muent régulièrement en rumeurs infondées. Disparition programmée des directeurs d’écoles, maternelles remplacées par des jardins d’enfants sans enseignants, élèves de 3 à 15 ans tous regroupés dans un même établissement, les fausses informations se succèdent.
« Plusieurs mesures, par exemple la scolarisation à 3 ans, étaient demandées de longue date par les syndicats. En apprenant le rejet en bloc de cette loi, nous sommes tombés de la chaise, assure Pierre Favre, président du SNE, syndicat des directeurs du premier degré. Le problème réside dans la méthode : on ne peut pas se contenter de balayer oralement les inquiétudes, sans inscrire ses engagements dans la loi. Tant que les précisions apportées par le ministre ne sont pas écrites noir sur blanc sous forme d’amendements, cela libérera l’usine à fantasmes. » Dans une lettre adressée mercredi aux directeurs d’école, Jean-Michel Blanquer a estimé que certaines « mesures ont été caricaturées ou ont donné lieu à des erreurs d’interprétations ».
Que contient réellement le texte ? Le Point démêle pour vous le faux du vrai et décrypte les trois principaux points de discorde.
1 – La scolarisation obligatoire dès 3 ans
L’article 2 de la loi abaisse l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans au lieu de 6 ans. Malgré des disparités géographiques (82 % des 3-5 ans sont à l’école en Guyane, 84,9 % à Mayotte et 93 % en Île-de-France), en moyenne 97,3 % des enfants de cet âge fréquentent déjà la maternelle en France. Le texte s’adresse donc aux quelque 26 000 enfants qui n’en bénéficient pas à l’heure actuelle, parmi lesquels environ 10 000 sont répartis dans 315 jardins d’enfants, structures privées animées par des puéricultrices qui s’apparentent à un entre-deux entre crèche et école. Loin d’être mise en danger, l’existence de la maternelle est donc confortée. Probablement à l’origine de la peur de voir l’école remplacée par les jardins d’enfants, un amendement accorde cependant une dérogation à ces derniers. Pendant deux années scolaires, soit jusqu’à 2021, les enfants pourront encore y être accueillis, le temps que ces structures se transforment, sans doute en fonction des besoins locaux en crèches, en accueil périscolaire, ou en écoles hors contrat.
Deuxième source d’inquiétude : le « cadeau » qui serait accordé aux écoles maternelles privées. En étendant l’obligation scolaire à 3 ans, le texte entraîne mécaniquement le financement des établissements privés sous contrat, c’est-à-dire employant des enseignants de l’Éducation nationale et respectant les programmes scolaires. En fait, l’article 4 de la loi dispose que l’État compensera les coûts supplémentaires entraînés pour les communes. Seules sont donc concernées par cet accompagnement financier les villes qui n’avaient pas déjà fait le choix de financer les classes de maternelles privées existantes, ou qui devront ouvrir de nouvelles classes pour accueillir les nouveaux petits élèves. Réévalué chaque année, ce montant est pour le moment estimé pour la première rentrée à 50 millions d’euros pour le public, et 50 millions d’euros pour le privé, sur les 6 milliards d’euros dépensés au total par les communes pour le premier degré.
2 – Le regroupement des écoles et des collèges
Un amendement a été introduit, instaurant la possibilité de créer des « établissements publics de savoirs fondamentaux [EPSF] ». Ces structures, qui rassembleraient une ou plusieurs écoles primaires avec un collège, doivent permettre principalement de mutualiser les charges administratives, d’assurer une continuité entre le primaire et le collège, et de faciliter des projets communs. « C’est une idée de longue date de l’Éducation nationale, dans le prolongement du collège unique », rappelle-t-on au ministère, mais qui provoque plusieurs craintes. En prévoyant que l’établissement serait dirigé par un chef d’établissement, accompagné de plusieurs adjoints, le texte reste à l’heure actuelle flou sur le sort des directeurs d’école actuels. Seront-ils les adjoints prévus par la loi ? Quel sera leur statut ?
Les enseignants et les parents redoutent notamment que leur principal interlocuteur ne soit plus présent quotidiennement pour assurer l’animation de la vie de l’école, voie son rôle réduit, ou soit tenu de se soumettre aux décisions du principal du collège. Dans une lettre adressée mercredi aux directeurs d’école, Jean-Michel Blanquer a tenté de désamorcer les inquiétudes en promettant de « solides garanties » : « pas d’implantation unique » pour les collèges et les écoles concernées, un dispositif soumis à l’« accord de la municipalité et des conseils d’écoles », ainsi que le maintien de la fonction de directeur d’école. « Le ministre est en concertation avec les syndicats pour voir comment faire évoluer la rédaction du texte : des garanties seront apportées », assure-t-on au ministère.
Reste à savoir quels éclaircissements le ministre, qui s’est déclaré « prêt à rajouter les éléments qui rassureront au Sénat », introduira noir sur blanc dans un éventuel amendement. Quoi qu’il en soit, le dispositif n’a, d’après le ministère, pas vocation à se généraliser, mais seulement à donner une structure juridique à des besoins spécifiques.
3 – Des enseignants pré-recrutés
L’article 14 de la loi introduit la possibilité de recruter certains assistants d’éducation, pour leur donner des missions d’enseignements. Une mesure qui préoccupe les enseignants et les parents, alarmés par une possible dégradation de la qualité de l’enseignement. Va-t-on confier un rôle en classe à des étudiants ?
Première précision, ceux que l’on appelle plus communément les pions ne sont pas tous concernés. Parmi les 50 000 assistants, seuls 29 % sont étudiants. Au sein de ces universitaires, seuls ceux au moins en L2 (en deuxième année de licence) et préparant le concours pour enseigner sont visés. Soit environ 9 000 personnes pour la première année. Le texte ne détaille pas les responsabilités qu’ils devront assumer, jetant un flou sur leurs missions. D’après le ministère, ils doivent a priori être supervisés par un enseignant toujours présent. Les activités pédagogiques devraient augmenter au fur et à mesure des années : de l’aide aux devoirs, pour les étudiants de L2, à la prise en charge partielle d’un cours pour les étudiants de M1 (première année de Master), plusieurs pistes sont envisagées.