Sur les lignes du Parisien, l’ancien chef de l’État estime que les élections du 26 mai ne sont pas destinées à « régler un certain nombre de problèmes ».
Si ses interventions se font de plus en plus rares, quand il s’agit d’Europe, Valéry Giscard d’Estaing n’hésite pas à prendre la parole. À 93 ans, l’ancien président de la République, militant historique d’une Europe forte, accorde au Parisien un long entretien à l’approche des élections européennes. Avant d’aborder les négociations houleuses du Brexit ou la crise des Gilets jaunes, il s’agit avant tout pour l’ancien président de clarifier la nature du scrutin du 26 mai prochain. Car, selon lui, l’opinion se trompe. « Les médias dépeignent les élections européennes comme un événement politique de nature à régler un certain nombre de problèmes. Ce n’est malheureusement pas le cas, explique-t-il. Si on promet de grands changements que le Parlement européen n’a pas le pouvoir d’accomplir, il y aura une déception. On s’imagine que l’élection au Parlement européen est un acte politique fondateur, alors qu’il s’agit d’un organisme dont le seul pouvoir est d’être associé au processus législatif européen et d’exercer un contrôle politique. »
L’atmosphère hautement politisée entretenue par presque tous, partis et candidats en tête, autour du scrutin semble pour lui ne pas aller dans le bon sens : « Cette élection donne lieu à une agitation inutile ! Il faut être clair : il ne s’agit ni d’un référendum ni d’une élection constituante. J’espère que l’on va revenir à des choses plus normales, sinon il y aura des déceptions. »
« L’Europe doit être le continent de la paix »
Celui qui concède que « le plus grand enjeu collectif, aujourd’hui, c’est l’arrivée d’une population étrangère en Europe, avec les migrations en provenance du continent africain et du Proche-Orient » et insiste sur le renforcement nécessaire des frontières de l’espace Schengen revendique, comme il l’a toujours fait, une Europe confédérale puissante, notamment en termes de fiscalité. « À terme, insiste-t-il, les impôts d’État devraient être les mêmes dans tous les pays membres et il faudrait un calendrier pour aboutir à ce résultat. Ce serait la suite logique de la trajectoire ouverte par le succès de la monnaie commune », dont il fut l’un des fervents défenseurs.
Pas question pour autant d’une armée commune à l’Union européenne, comme l’envisage Emmanuel Macron. « L’Europe doit être le continent de la paix, annonce Valéry Giscard d’Etaing. Elle a été, hélas, le continent de la guerre pour les deux siècles précédents. C’est une erreur de vouloir en faire aujourd’hui le continent d’une autre guerre. Il faut éviter de donner à l’Europe une silhouette guerrière. Si l’on parle de guerre, on est inévitablement conduit à parler de guerre nucléaire. Or, dans la confédération européenne, une fois la Grande-Bretagne partie, la France est le seul pays à posséder un armement nucléaire, et n’est pas disposée à le partager. L’idée d’une armée européenne, de type classique, n’est pas réaliste. » S’il soutient la candidature de l’Allemagne au Conseil de sécurité de l’ONU, pas question de partager le siège de la France en le transformant en siège européen.
« L’article 50, c’est moi qui l’ai rédigé »
Interrogé, comme chaque interviewé depuis bientôt six mois, sur la crise des Gilets jaunes, l’ancien président de la République relativise. Pour lui, il s’agit là d’une crise interne qui « traduit une insatisfaction, qui existe, qu’on ne doit pas traiter par le mépris ». Il poursuit : « Les Gilets jaunes ont le sentiment d’être victimes d’une injustice individuelle qu’ils voudraient voir corrigée. Cela ne peut se faire que dans le cadre d’un remaniement très large de la dépense publique. »
Quant à l’interminable sortie du Royaume-Uni hors de l’Union européenne, Giscard est loin d’être surpris. « Les Anglais n’ont jamais vraiment fait partie de l’Europe, relativise-t-il. Ils veulent vivre indépendamment de l’UE, ça a toujours été comme cela. » « D’ailleurs, l’article 50, c’est moi qui l’ai rédigé », poursuit-il en évoquant l’article qui permet à un pays de sortir de l’UE. Parce qu’à l’époque, au début des années 2000, il y a eu une campagne de la presse américaine disant que l’UE était une prison : qu’on pouvait y entrer, mais pas en sortir. Je me suis dit qu’il fallait, en effet, prévoir une possibilité de sortie dans des conditions légales, diplomatiques. D’où l’article 50 que j’ai rédigé de ma main. »