Après les élections municipales de la semaine dernière, la Turquie entre dans une période de quatre ans sans aucun scrutin prévu qui sera consacrée, a promis le président Recep Tayyip Erdogan, aux réformes économiques.
Le pays en a urgemment besoin: l’économie traverse sa première récession en 10 ans, l’inflation annuelle, alimentée par l’érosion de la livre turque, a atteint un niveau record et le chômage a bondi à 13,5% en décembre, au plus haut depuis 2010.
Ce sombre tableau a largement contribué, pour les analystes, au revers électoral infligé au parti du président Erdogan lors du scrutin municipal du 31 mars: selon les résultats provisoires, l’opposition l’a emporté à Ankara et à Istanbul.
Les investisseurs attendent maintenant d’être rassurés par M. Erdogan, dont les dépenses et promesses électoralistes – la Turquie a voté huit fois en cinq ans -, les positions économiques hétérodoxes et les prises de bec avec Washington préoccupent les marchés.
La livre turque reste volatile, et les analystes estiment que le chef de l’Etat doit combiner mesures pour soutenir sa devise à court terme et réformes structurelles qui permettront une stabilité économique à long terme.
Le ministre turc des Finances, Berat Albayrak, a indiqué que la Turquie entrerait dans une « période de rééquilibrage économique ». Il doit annoncer mercredi une série de mesures très attendues.
Selon les médias turcs, il doit par ailleurs s’entretenir avec des responsables du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale à Washington la semaine prochaine pour clarifier « la nouvelle feuille de route de l’économie turque ».
« Dès lors que les inquiétudes concernant les difficultés économiques ont guidé le choix de nombreux électeurs, M. Erdogan sera obligé de s’attaquer aux problèmes sous-jacents », estime Amanda Sloat, du Brookings Institute. « Mais il a une marge de man?uvre limitée », prévient-elle.
« Solutions permanentes »
Si le parti présidentiel, l’AKP, a construit ses succès électoraux depuis 2002 sur une « croissance à la chinoise », celle-ci n’est plus qu’un souvenir.
Après avoir progressé de 7,4% en 2017, le Produit intérieur brut n’a crû que de 2,6% en 2018, avec surtout deux contractions de 1,6% et 2,4% aux deux derniers trimestres qui ont plongé le pays dans la récession.
Ces derniers mois ont aussi été marqués par le spectaculaire effondrement de la livre turque qui a perdu près de 30% de sa valeur par rapport au dollar, alimentant une inflation annuelle de 20%.
« Lors de discours publics, les dirigeants économiques (…) semblent d’accord sur la nécessité des réformes », observe dans une note Maya Senussi, d’Oxford Economics. Mais, « dans la pratique, le bilan récent du gouvernement est médiocre ».
Or « les autorités doivent non seulement admettre que des erreurs ont été commises (…), mais aussi montrer qu’elles sont prêtes à sacrifier la croissance à court terme pour augmenter les chances d’une prospérité à long terme », poursuit-elle.
L’une des principales inquiétudes des économistes concerne l’exposition des entreprises turques à la dette extérieure, la baisse de la livre renchérissant les sommes libellées en devises étrangères à rembourser.
Sans élection prévue jusqu’à 2023, la période qui s’ouvre « est une opportunité pour trouver des solutions permanentes à nos problèmes structurels », a déclaré vendredi le président de l’Union des chambres et des bourses de Turquie, Rifat Hisarciklioglu.
« Reconstruire la confiance »
Depuis une réforme constitutionnelle en 2017 qui lui accorde des pouvoirs élargis, M. Erdogan a les mains d’autant plus libres pour réformer.
Mais un sujet majeur de préoccupation pour les observateurs reste celui de l’indépendance de la banque centrale turque, soumise aux pressions du président qui ne cache pas son aversion pour les taux d’intérêt élevés, même si ces derniers permettent de juguler l’inflation.
Une semaine avant le scrutin municipal, la livre turque a connu d’importantes fluctuations reflétant l’inquiétude des marchés, qui soupçonnent la banque centrale d’avoir puisé dans ses réserves de devises étrangères – qui ont brusquement fondu – pour soutenir la livre.
Le chef de l’Etat turc s’en est aussi pris aux banques d’investissement et a attribué les récentes fluctuations de la livre à une « opération occidentale » visant à « acculer » la Turquie.
Un nuage diplomatique se profile en outre à l’horizon, avec l’hypothèse de sanctions américaines en cas d’achat par Ankara d’un système antibalistique russe, une décision sur laquelle M. Erdogan se dit ferme.
Mercredi, « M. Albayrak doit arriver avec un programme pour convaincre les marchés, et surtout les Turcs eux-mêmes, que les autorités actuelles savent ce qu’elles font, en reconstruisant au passage la confiance », selon Timothy Ash de BlueBay Asset Management.