Législatives en Israël : pourquoi Benyamin Nétanyahou apparaît plus fragile que jamais

L’enjeu de ces élections, qui ont lieu mardi, est de savoir si le Premier ministre sortant poursuit son long règne ou si l’heure du changement est venue avec le novice Benny Gantz. Benyamin Nétanyahou est au pouvoir depuis plus de treize ans au total, dont dix années sans discontinuer.

Pour ou contre « Bibi » ? En Israël, les élections législatives ont toutes les allures d’un référendum sur le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou. Il brigue un cinquième mandat au nom du Likoud, parti de droite. Les bureaux de vote ont ouvert mardi 9 avril à 7 heures, heure locale (6 heures, heure de Paris). Les quelque 6,3 millions d’électeurs ont jusqu’à 22 heures heure locale pour faire leur choix. Alors que la victoire lui semblait assurée quand, en décembre 2018, il a provoqué ces élections anticipées, l’avenir de Benyamin Nétanyahou est aujourd’hui dans la balance. Le Premier ministre est fragilisé par plusieurs éléments.

Parce qu’il a un sérieux concurrent

Pendant la campagne électorale, Benyamin Nétanyahou s’est frotté à un challenger : Benny Gantz, candidat aux couleurs de l’alliance Bleu-Blanc. Agé de 59 ans, ce fils de rescapés de l’Holocauste, ancien parachutiste, ancien commandant d’une unité de forces spéciales et ancien chef d’état-major, n’était pas encore entré en politique il y a moins de six mois. Pourtant, aujourd’hui, Benny Gantz menace l’indétrônable « Bibi », arrivé au pouvoir en mars 2009.

C’est lui qui a dirigé, en 1991, l’unité d’élite chargée de sécuriser en Ethiopie le pont aérien par lequel 14 000 juifs éthiopiens sont évacués vers Israël. « Ce longiligne père de quatre enfants à l’allure décontractée, voire placide, joue de son expérience militaire (…) pour convaincre l’opinion qu’il serait intraitable dans la défense du pays. Il est même le premier politicien israélien depuis une douzaine d’années à prétendre défier Nétanyahou sur le thème de la sécurité », analyse le quotidien Les Echos. Jusqu’à en jouer un peu trop ? « Le 20 janvier [son équipe de campagne] publiait plusieurs vidéos dont l’une se félicitait que, sous son commandement, une partie de Gaza ait été ‘renvoyée à l’Age de pierre’, pendant la guerre de 2014 », rappelle L’Obs.

Ses adversaires comparent son programme à « un supermarché où on trouve de tout », d’après Les Echos. Mais pour lui, il s’agit de mettre fin aux années de divisions et de corruption incarnées par le Premier ministre sortant. Benny Gantz a construit une liste solide avec, aux cinq premières places, trois anciens commandants des armées, un ancien ministre des Finances et l’ancien chef de la centrale syndicale nationale. Une stratégie qui paye : Benny Gantz et Benyamin Nétanyahou se retrouvent au coude-à-coude dans les sondages. Mais, avec une trentaine de sièges prédits à chacun, l’un et l’autre restent loin de la majorité absolue (61 sur 120) et devront s’allier à d’autres formations pour gouverner.

Parce qu’il risque d’être mis en examen

Benyamin Nétanyahou n’est pas seulement menacé par un sérieux concurrent : il est aussi et surtout fragilisé par une éventuelle mise en examen. En février, le procureur général a annoncé son intention d’inculper le Premier ministre sortant pour corruption, fraude et abus de confiance dans trois affaires de dons reçus de la part de milliardaires, d’échanges de bons procédés entre gouvernants et patrons, et de tentatives de collusion avec la presse. Ce qui peut lui valoir jusqu’à dix ans de prison.

En théorie, car « en vertu d’un privilège dû à ses fonctions, Benyamin Nétanyahou pourra toutefois tenter d’infléchir cette décision lors d’une audition qui devrait démarrer après les élections et durer de huit à dix mois, voire davantage », explique La Croix. « Si son parti, le Likoud, sort vainqueur des urnes, comme le prédisent les sondages, Benyamin Nétanyahou ambitionne de former une coalition avec ses alliés traditionnels, les religieux et l’extrême droite. L’un d’eux, le député Bezalel Smotrich (Union nationale), s’est engagé à œuvrer à la réactivation d’une loi abrogée en 2005, qui octroyait aux parlementaires l’immunité contre des poursuites judiciaires », complète le quotidien.

« Selon la loi, même sous le coup d’une inculpation, le Premier ministre ne serait pas tenu de démissionner avant d’avoir été reconnu coupable et d’avoir épuisé tous les recours », souligne encore le correspondant de La Croix à Jérusalem. Qui rappelle, par la même occasion, qu’en 2008, lorsqu’il était en campagne pour le poste de Premier ministre, Benyamin Nétanyahou avait poussé son prédécesseur, Ehoud Olmert, à démissionner avant d’être inculpé.

Parce qu’il a une personnalité clivante

Il ne laisse personne indifférent : Benyamin Nétanyahou est adoré des uns, détesté des autres. Pour les premiers, il est le « roi Bibi », « qui a toujours raison ». « Un leader comme ça, il n’y en a qu’un par génération. Il a l’expérience, il est respecté dans le monde entier. Tout le monde est remplaçable, mais quand on a quelqu’un comme ‘Bibi’, on ne le remplace pas. Sur les affaires, rien n’a été prouvé. De toute façon, Nétanyahou est un homme riche, il n’a pas besoin de voler », expliquent des électeurs que franceinfo a rencontrés à Ashdod, l’un des fiefs du Likoud. Mais comme le souligne Médiapart, seuls « les fidèles de Nétanyahou le soutiennent jusqu’au bout ».

« La moitié du pays ne peut plus voir sa tronche, l’autre moitié l’adule, et la raison, dans les deux cas, n’a rien à voir là-dedans. C’est viscéral », résume Libération. En témoigne la scène racontée par le quotidien : « Début avril, le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, est venu prendre son habituel bain de foule dans un marché populaire de Tel-Aviv. Certes, les cris ‘Bibi roi d’Israël’ ont résonné fort. Mais une tomate a été jetée. »

Si Benyamin Nétanyahou rempile, il sera à la tête d’une coalition encore plus droitière. La grande question de ces élections est donc de savoir s’il aura réussi à convaincre les électeurs de fermer les yeux sur la suspicion et l’opportunisme associés à son nom, et sur une rhétorique volontiers décriée comme anti-arabe. Arié Paz, ex-contrôleur du ministère de la Santé à Jérusalem, offre une réponse dans La Croix : « Il est comme un boxeur qui a encaissé trop de coups, et il finira K.-O. Il est dans une voie sans issue et il le sait. »

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