Comédien novice en politique, Volodymyr Zelensky part grand favori du second tour de la présidentielle en Ukraine dimanche, annonçant sauf coup de théâtre un saut dans l’inconnu pour ce pays en guerre aux portes de l’Union européenne.
Cinq ans après la révolution pro-occidentale du Maïdan, les Ukrainiens semblent déterminés à renverser de nouveau la table en préférant un acteur et humoriste de 41 ans au sortant Petro Porochenko. A 53 ans, ce dernier paye son incapacité à mettre fin au conflit dans l’est ainsi que les scandales à répétition éclaboussant la classe politique et les difficultés économiques de l’un des pays les plus pauvres d’Europe.
« Nous avons uni l’Ukraine », a déclaré Volodymyr Zelensky après avoir voté à Kiev. En T-shirt blanc sous une veste sombre, il a dit passer une bonne journée: « mes enfants, des oeufs, du café… et pour nous mettre de bonne humeur, ma femme a mis Eminem », le rappeur américain.
Il a brandi devant les dizaines de journalistes massés dans son petit bureau de vote son bulletin, violant le secret du vote, ce qui lui a valu de recevoir une amende, selon son service de presse.
M. Porochenko a, lui, appelé au « bon sens » : « Parce que ce n’est pas drôle. Certes, au début, cela peut être un peu drôle et amusant. Mais pour que cela ne devienne pas douloureux ensuite ».
La participation dépassait légèrement 45 % à 12H00 GMT, au même niveau que lors du premier tour. Les sondages sortie des urnes sont attendus dès la clôture du scrutin à 17H00 GMT, avant de premiers résultats partiels dans la nuit.
Une victoire de Volodymyr Zelensky, nouveau soubresaut de la vague mondiale anti-élites, est considérée comme acquise par bien des observateurs à Kiev. Largement en tête du premier tour avec un score double de celui de son rival, M. Zelensky était crédité de plus de 70 % des intentions de voix dans les derniers sondages avant le second tour.
Comme à la télé
Les enjeux sont considérables pour cette ex-république soviétique, confrontée à une crise inédite depuis son indépendance en 1991.
L’arrivée au pouvoir de pro-occidentaux en 2014 a été suivie du rattacehement à la Russie de la péninsule ukrainienne de Crimée et d’une guerre dans l’est qui a fait près de 13.000 morts en cinq ans.
Cette crise a largement contribué aux graves tensions actuelles entre la Russie et les Occidentaux, qui ont décrété des sanctions réciproques. Si elle se confirme, l’élection d’un nouveau président inexpérimenté sera suivie de très près par les chancelleries.
Vendredi, le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a appelé les deux candidats, qui avaient été reçus à Paris mi-avril par le président français Emmanuel Macron.
Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a indiqué dimanche espérer que Kiev resterait après l’élection fidèle aux accords de paix de Minsk de 2015, qui avaient permis de réduire considérablement le niveau de violences dans la zone de conflit.
Dans la ville côtière de Marioupol, près de ligne de front, Anna, une architecte de 24 ans, a voté pour Volodymyr Zelensky: « J’espère que se passera comme dans sa série télévisée » où le comédien joue un professeur élu président.
« Devenus fous »
« Les gens sont devenus fous » et « votent pour un personnage de fiction », soupire Viktoria, 39 ans, qui soutient M. Porochenko. « Mais le cinéma et la réalité, ce sont des choses différentes. »
Rares sont ceux qui ont pris au sérieux Volodymyr Zelensky lorsqu’il a annoncé sa candidature le 31 décembre. Ont suivi quatre mois de campagne hors normes menée essentiellement sur les réseaux sociaux, où il s’est posé en « mec simple » voulant « casser le système » à l’image du professeur d’histoire sympa élu président qu’il incarne dans une série télévisée.
Au-delà de sa promesse de maintenir le cap pro-occidental pris en 2014, la politique que mènerait M. Zelensky reste très floue même s’il a tenté entre les deux tours de renforcer sa crédibilité, s’entourant de conseillers plus expérimentés et s’exprimant enfin dans la presse.
Si Petro Porochenko est crédité par ses supporteurs d’avoir rapproché l’Ukraine des Occidentaux, redressé l’armée et évité une faillite de son pays, aucun haut responsable n’a été condamné pour corruption et le processus de paix semble dans l’impasse.