Pourquoi le triomphe du comédien Zelensky en Ukraine ouvre une période d’incertitudes

Le comédien novice en politique Volodymyr Zelensky a remporté dimanche la présidentielle en Ukraine avec une majorité écrasante face au sortant Petro Porochenko, ouvrant une page riche en incertitudes pour ce pays en guerre aux portes de l’Union européenne.

Cinq ans après la révolution pro-occidentale du Maïdan, réprimée dans le sang, les Ukrainiens ont une nouvelle fois décidé de renverser la table, cette fois par une élection qui n’a pas manqué de coups bas mais s’est déroulée dans le calme et dans le respect des normes démocratiques.

A l’issue de quatre mois de campagne menée essentiellement sur les réseaux sociaux et sans programme précis, l’acteur et humoriste de 41 ans a remporté 73 % des voix au second tour de la présidentielle contre 25 % pour son adversaire, selon un sondage réalisé à la sortie des bureaux de vote par le consortium Exit Poll National réunissant trois instituts.

La Commission électorale doit publier les résultats partiels au fil de la nuit: avec moins de 4% des bulletins dépouillés, Volodymyr Zelensky recueillait 72 % des voix.

Sous une pluie de confettis et les applaudissements de ses partisans, le vainqueur a remercié, depuis son quartier général, ses électeurs et ceux « qui ont fait un autre choix ».

« Je ne vous laisserai jamais tomber! » a-t-il lancé avant de s’adresser à « tous les pays de l’espace post-soviétique »: « Regardez-nous! Tout est possible! ».

Corruption et pauvreté

Nouvel épisode spectaculaire de la vague mondiale anti-élites, le raz-de-marée remporté par Volodymyr Zelensky, qui a promis de « casser le système » sans dévier du cap pro-occidental, donne la mesure de la défiance des Ukrainiens envers leur classe politique, dont Petro Porochenko est un vétéran.

A 53 ans, ce dernier paie les scandales de corruption incessants depuis l’indépendance en 1991, les difficultés économiques de l’un des pays les plus pauvres d’Europe, et son incapacité à mettre fin au conflit qui endeuille son pays.

Les défis sont immenses dans cette ex-république soviétique, confrontée à une crise inédite depuis son indépendance en 1991. L’arrivée au pouvoir de pro-occidentaux en 2014 a été suivie de l’annexion par Moscou de la péninsule ukrainienne de Crimée et d’une guerre dans l’est avec les séparatistes prorusses qui a fait près de 13.000 morts en cinq ans.

Cette crise a largement contribué aux graves tensions actuelles entre la Russie et les Occidentaux, qui ont décrété des sanctions réciproques. Si elle se confirme, l’élection d’un nouveau président inexpérimenté sera suivie de très près par les chancelleries.

L’ambassade des Etats-Unis à Kiev a félicité Volodymyr Zelensky, disant vouloir « continuer un partenariat fort » entre les deux pays.

« Les citoyens ukrainiens ont voté pour le changement », a constaté le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Grigori Karassine, cité par l’agence Ria-Novosti. « Le nouveau pouvoir doit comprendre et réaliser les espoirs des électeurs ».

« Relancer » le processus de paix

Lors de sa première conférence de presse en tant que président élu, Volodymyr Zelensky a dit souhaiter « relancer » le processus de paix de Minsk, en référence aux accords signés en février 2015 dans la capitale bélarusse sous l’égide de Kiev, Moscou, Paris et Berlin. « Nous irons jusqu’au bout pour arriver à un cessez-le-feu. C’est le plus important », a-t-il martelé.

Il a qualifié de « priorité numéro un » le retour dans leur pays de « tous nos prisonniers », notamment militaires.

Le 25 novembre dernier, la Russie a capturé, après avoir ouvert le feu, trois navires de guerre ukrainiens avec 24 marins à leur bord au moment où les navires ukrainiens tentaient de passer de la mer Noire dans celle d’Azov via le détroit de Kertch, au large de la Crimée.

Le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, reste également emprisonné en Russie pour « terrorisme » après avoir mis fin en octobre à ses 145 jours de grève de la faim.

Reconnaissant sa défaite, M. Porochenko a promis d' »épauler le nouveau président dans toutes ses décisions ». « Je quitte mes fonctions mais je veux souligner avec fermeté: je ne quitte pas la politique », a-t-il prévenu. « Le nouveau président aura une opposition forte, très forte ».

Si Volodymyr Zelensky disposera à la présidence de pouvoirs forts, notamment comme chef des armées, sa marge de manoeuvre pour prendre des mesures concrètes sera très limitée faute de majorité parlementaire. Des législatives ne sont prévues pour l’instant que le 27 octobre, présageant l’ouverture d’une nouvelle phase de luttes politiques.

Si Petro Porochenko était crédité par ses partisans d’avoir rapproché l’Ukraine des Occidentaux, redressé l’armée et évité une faillite de son pays, aucun haut responsable n’a été condamné pour corruption et le processus de paix semble dans l’impasse.

Très en retard au premier tour, il a tenté en vain de mettre en avant son expérience politique, diplomatique et militaire accumulée en cinq ans, mettant en garde sur les risques pesant sur l’Ukraine et se posant en rempart face à Vladimir Poutine.

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