L’EI a laissé des bombes et la leishmaniose dans la province syrienne de Raqqa

Dans une clinique du nord de la Syrie, d’où se dégage une forte odeur d’humidité, une fillette au nez couvert de plaies gémit et se tortille dans les bras de sa mère pour échapper à l’aiguille d’un infirmier.

Tenant un coton imbibé au niveau de ses yeux, ce dernier injecte un liquide transparent à travers les croûtes qui recouvrent le bout de son nez.

Comme elle, depuis plusieurs mois, des dizaines d’enfants et d’adultes atteints de leishmaniose affluent pour se faire soigner au dispensaire du village d’al-Karamah, dans la province de Raqa, ex-bastion fort du groupe Etat islamique (EI) en Syrie.

La leishmaniose cutanée est une maladie de la peau causée par un parasite microscopique propagé par des insectes piqueurs, les phlébotomes. Elle crée des ulcères et laisse des cicatrices qui défigurent souvent ses porteurs.

Cette maladie est généralement liée à des conditions sanitaires médiocres, la malnutrition et la pauvreté. Endémique en Syrie, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle s’est exacerbée au cours des huit années de guerre civile.

Debout, dans une longue file d’attente, une adolescente vêtue d’un voile intégral noir attend patiemment d’être soignée à son tour.

« J’ai (une plaie) sur la jambe, ma soeur a 11 lésions sur le visage et mon frère en a sur les yeux », témoigne Chaza al-Omar, 15 ans.

Non loin de là, un père tente en vain de calmer sa fille, qui pousse des hurlements de douleur lorsque l’infirmier injecte du liquide à travers les plaies de son visage.

A côté, une femme assise sur une civière montre sa jambe infectée. Une soignante lui administre des piqûres.

« Marais, ordures »

Le nombre de cas de leishmaniose en Syrie a doublé entre 2010 et 2018 pour atteindre plus de 80.000 personnes, selon l’OMS.

Nombre d’entre eux se trouvent dans le nord et le nord-est du pays secoués ces dernières années par des combats visant à expulser l’EI.

Selon l’OMS, la mauvaise gestion des déchets est l’un des facteurs majeurs à l’origine de la propagation de cette maladie.

L’accumulation des ordures ménagères et d’origine animale augmente la reproduction des phlébotomes, en particulier durant les mois chauds, indique l’organisation.

A al-Karamah, les déchets jonchent les trottoirs de maisons modestes dont certaines portent encore les traces des combats entre les forces antijihadistes et l’EI. Des nuées d’insectes volent au-dessus des tas d’ordures.

Depuis avril 2018, le dispensaire du village a enregistré 4.000 cas de leishmaniose, selon son directeur Younés al-Naïmi. Certains malades ne vivent pas à al-Karamah mais dans les villages voisins.

« Les marais, l’humidité, la proximité entre les habitations et les terres agricoles, ainsi que les ordures » sont à l’origine de cette maladie, explique-t-il.

Mais le manque de sensibilisation a également aggravé la situation.

Certaines personnes « viennent immédiatement après avoir découvert qu’elles sont touchées, alors que d’autres attendent que la situation empire », ajoute le responsable.

Wadha al-Jarrad, 55 ans, entre dans le dispensaire. Son mari, ses petits-enfants et sa belle-fille sont tous atteints par la maladie et elle souhaite connaître le traitement à administrer.

Affligée, elle raconte que son époux a une nouvelle plaie sur sa main: « il la gratte toujours jusqu’à ce qu’elle saigne », dit-elle. « Elle le démange. »

« Tout le monde s’en fiche »

Après un pic d’environ 6.800 cas de leishmaniose recensés en 2018 dans la seule province de Raqa, l’OMS a fait état d’une baisse du nombre de personnes atteintes en début d’année.

Pour lutter contre la maladie, l’organisation a distribué des centaines de moustiquaires, fourni des médicaments pour traiter la maladie et financé en partie six dispensaires, y compris celui d’al-Karamah.

Mais la maladie risque de se propager à nouveau dans les prochains mois, avertit l’OMS.

« La reproduction des phlébotomes culmine généralement lorsque les températures commencent à augmenter au printemps et en été », indique son porte-parole en Syrie, Yahya Bouzo.

« À moins que des mesures de prévention ne soient prises », la situation pourrait ainsi empirer, prévient-il.

Mais les habitants d’al-Karamah ne croient pas à une éventuelle solution, déplorant l’incurie des autorités, notamment en matière de ramassage des ordures.

Pour Hussein Hamoud, 50 ans, les mesures prises jusque-là ne suffisent pas.

« Ils avaient pulvérisé des insecticides dans les maisons, mais ne l’ont plus jamais refait », déplore-t-il.

« Tout le monde s’en fiche. S’il y avait le moindre sens de l’intérêt général, cela ne se serait pas produit », dénonce-t-il.

A Jdaïdé, un village proche d’al-Karamah, dans une classe de l’école primaire, deux enfants portent les marques de la leishmaniose sur leur visage.

Selon le directeur de l’établissement, Abed Zein al-Merhi, 35 à 40 élèves sont atteints par cette maladie parasitaire.

Lui-même contaminé, l’homme de 26 ans montre les lésions sur ses jambes. « J’ai 15 lésions et je suis toujours sous traitement », déplore-t-il.

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