Longtemps, le Parti populaire (PP) a vécu sur un avantage considérable. Cette formation, qui a gouverné le pays en alternance avec les socialistes depuis la fin du franquisme, avait le monopole de la droite de l’échiquier national : en son sein, coexistaient le centrisme, un libéralisme modéré, une forme de démocratie-chrétienne, le conservatisme et aussi l’extrémisme.
Cette hégémonie du Parti populaire a volé en éclats ces dernières années et, dimanche soir, à l’issue des législatives générales, ce déclin s’est manifesté de façon spectaculaire : en seulement 3 ans, les « populares » emmenés par le jeune leader Pablo Casado ont perdu la moitié de leurs sièges, passant de 137 députés à 66. Un désaveu massif pour cette formation qui avait gouverné l’Espagne de façon stable en 2011 et 2015, et sorti le pays d’une banqueroute financière.
En face, le grand rival socialiste se frotte les mains : l’actuel chef du gouvernement augmente son avantage en comptant quelque 40 sièges en plus ; Pedro Sánchez sera le prochain chef du gouvernement espagnol.
La concurrence des droites
Deux formations se sont chargées de laminer la force du Parti populaire. D’une part Ciudadanos, qui présente de nombreuses similitudes avec En marche !, des libéraux centristes qui ont misé sur la lutte contre la corruption (le PP, lui, est éclaboussé par les affaires) et « la régénération démocratique ». D’autre part, l’ultradroite de Vox, une formation créée en 2013, mais qui vient tout juste de pointer son nez, profitant du mécontentement d’une partie de la population, de l’environnement populiste en Europe et, surtout, du sursaut patriotique de nombre d’Espagnols après le défi sécessionniste en Catalogne.De l’avis de l’observateur Arseni Escolar, ces « trois droites » ont commis une erreur fatidique : « adopter un même discours très droitier, pêcher dans les mêmes eaux électorales, et finir par se ressembler ». Résultat : dans chaque circonscription, leur lutte à mort les a affaiblies : la droite compte ainsi une trentaine de sièges cumulés de moins que la gauche.
La peur de l’extrême droite
Le chef du gouvernement sortant, lui, a largement profité de ces luttes intestines à droite. Et obtient un résultat inespéré : 123 sièges, contre 85 en en 2016. Il domine ainsi nettement la chambre basse du Parlement. De la même façon, Pedro Sánchez a bénéficié d’un Podemos en perte de vitesse, qui n’enthousiasme plus les foules et qui, en se montrant très ambigu quant au séparatisme unilatéral en Catalogne, a perdu beaucoup de votants – le parti de Pablo Iglesias passe ainsi de 67 à 42 députés.
« Mais, à n’en pas douter, le principal facteur de la réussite de Pedro Sánchez, c’est l’irruption de Vox, note le directeur du journal El Español, Pedro J. Ramirez. C’est la peur de l’extrême droite qui a provoqué le sursaut des votants de gauche. » Sans aucune représentation parlementaire depuis 1979, l’extrême droite a obtenu 2,5 millions de suffrages et 24 députés. De peur qu’il grandisse trop, une bonne partie de l’électorat socialiste s’est mobilisé. D’où une participation importante, autour de 75 %, soit 9,5 points de plus que lors des législatives de 2016.
À la recherche d’une majorité
Reste désormais à Pedro Sánchez à former un gouvernement. La solution d’un exécutif de coalition avec Ciudadanos – l’option préférée de Bruxelles et des marchés – semble très improbable, car les deux formations craignent de brouiller leurs messages. Sans compter que, durant la campagne, Pedro Sánchez et Albert Rivera ont manifesté une agressivité presque haineuse l’un vis-à-vis de l’autre. Le leader socialiste peut compter, à gauche, sur Podemos, dont le candidat Pablo Iglesias a modéré ses positions et meurt d’impatience d’entrer dans un gouvernement.
Au-delà, Pedro Sánchez pourrait s’appuyer sur les nationalistes basques ou canariens et quelques petits partis régionalistes. Mais il est fort probable que, pour atteindre la barre des 176 députés, celle de la majorité absolue, il ait besoin d’une alliance avec les indépendantistes catalans d’Esquerra. Ce qui donnerait à la droite un puissant argument contre lui.