Cela fait neuf jours que Fatima al-Masri, 66 ans, dort à ciel ouvert au milieu des oliviers, le seul refuge qu’elle ait trouvé en fuyant les bombardements du régime syrien et de ses alliés sur la région d’Idleb et ses environs en Syrie.
« On est venu ici pour échapper à la mort, on est parti sous les bombes et sous les barils d’explosifs », lâche la sexagénaire, assise au soleil sur son matelas en mousse, son visage ridé encadré par un fichu noir.
« Les avions tiraient pour ne laisser rien, ni homme, ni arbre, ni bétail », poursuit-elle, vêtue d’une longe djellaba mauve, entourée par une ribambelle de petits-enfants de tout âge et pieds nus.
Comme elle, des dizaines de personnes ont élu domicile dans les champs d’Atmé, une localité du nord-ouest du pays en guerre.
Ils ont fui des secteurs aux mains de l’organisation jihadiste Hayat Tahrir al-Cham (HTS), l’ex-branche syrienne d’Al-Qaïda, dans le sud de la province d’Idleb ou le nord de la région voisine de Hama, bombardés sans cesse ces derniers jours par le régime syrien et l’aviation russe.
Au total, plus de 152.000 personnes ont été déplacées entre le 29 avril et le 5 mai avec l' »intensification des hostilités », a annoncé mardi l’ONU. Huit jours de bombardements ont tué plus de 80 civils, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).
Sur la terre meuble à l’ombre des oliviers d’Atmé, des tapis de jute sont étalés, avec de minces matelas en mousse. Pour avoir un peu d’intimité, certains ont tendu des draps ou des bâches en plastique, s’aidant des branches des arbres.
Pour dormir, hommes et enfants sont emmitouflés dans d’épaisses couvertures. Les maigres possessions de chacun sont rassemblées au pied des troncs d’arbres. De grosses casseroles en fer blanc, des bassines, des bouteilles d’eau, des réchauds et des bonbonnes de gaz.
« Bombardements sauvages »
« On est 35 familles ici. Les gens veulent des tentes », se plaint Fatima. Originaire de Kafr Nbouda, une petite ville de la province de Hama reprise mercredi par le régime, selon l’OSDH.
N’ayant nulle part où aller, ces familles ont choisi le secteur d’Atmé, également sous contrôle de HTS mais épargné par les violences en raison de sa proximité avec la frontière turque, située à quelques centaines de mètres.
« On est venu à Atmé parce que c’est une région sûre », explique Essam Darwich, allongé, la tête calée contre deux oreillers.
« Les bombardements étaient sauvages, l’armée a progressé dans le secteur, on a pris les enfants et on est venu ici », poursuit ce père de 35 ans, qui a fui avec ses deux épouses, sa mère et sa belle-soeur.
Arrivé à Atmé il y a quatre jours, il pensait obtenir des aides et des tentes, alors qu’à quelques mètres de lui, des déplacés vivant là depuis plus longtemps sont installés dans des tentes.
Mais sa famille n’a toujours rien reçu. « Aucune aide, pas de tentes, on est assis sous les oliviers, dans la pluie et le froid », déplore le trentenaire.
Mardi, les déplacés ont toutefois reçu des plats cuisinés, distribués par des ONG au moment de la rupture du jeûne musulman du ramadan.
« Maisons détruites »
Dominé par HTS, la province d’Idleb et les territoires insurgés adjacents constituent le dernier grand bastion jihadiste qui échappe au pouvoir de Bachar al-Assad, après plus de huit ans d’un conflit dévastateur qui a fait plus de 370.000 morts.
La moitié des quelque trois millions d’habitants de la province sont déjà des déplacés, échoués à Idleb après avoir fui d’autres bastions rebelles ou jihadistes reconquis par les forces prorégime.
Mais l’escalade des derniers jours est la plus grave depuis que Moscou et Ankara, parrain de certains groupes rebelles, ont annoncé en septembre 2018 un accord sur une « zone démilitarisée » devant séparer les territoires insurgés des zones gouvernementales et éviter une offensive du régime.
« On est parti à cause des bombardements. Ils sont en train de tuer les gens », assène Jamila Khalouf, quinquagénaire originaire d’un village du sud d’Idleb.
« On était dans nos maisons, et nos maisons ont été détruites », raconte la matriarche, le visage encadré par un voile fleuri noir et turquoise.
Ses enfants sont pourtant retournés dans leur village de Maaret Horma. « Ils sont allés chercher des affaires sous les bombardements. Ils vont revenir ».