Quatorze accusés sauront jeudi s’ils sont reconnus coupables d’avoir ourdi un mystérieux « coup d’Etat » prorusse que les autorités du Monténégro affirment avoir déjoué en octobre 2016, mais qui garde de nombreuses zones d’ombre malgré 18 mois de procès.
Parmi eux, deux responsables de l’opposition prorusse Andrija Mandic et Milan Knezevic, risquent un à huit ans de prison, accusés d’avoir fait partie d’un groupe criminel dont le but était de renverser le gouvernement pro-occidental au soir de législatives.
Ils auraient ainsi voulu faire pièce au projet d’adhésion à l’Otan de ce pays balkanique indépendant de la Serbie depuis 2006 et dont les 650.000 habitants sont majoritairement slaves et orthodoxes.
Les autorités avaient même évoqué un projet d’assassinat de Milo Djukanovic, alors Premier ministre et homme fort du Monténégro depuis 1991.
L’opposition crie au « procès politique monté », à la « chasse aux sorcières » destinée à détruire le Front démocratique.
Cette coalition prorusse était en 2016 la principale force d’opposition à Milo Djukanovic et à son parti, le DPS. Elle avait organisé des manifestations anti-Otan émaillées de violences l’année précédente.
Les accusés réclament l’acquittement. Les exécutants risquent des peines minimales de cinq ans de prison.
« Hystérie antirusse »
« Sans ce prétendu coup d’Etat, le régime serait certainement aujourd’hui dans l’opposition… », le but était « que Djukanovic puisse ensuite, sur la vague d’une hystérie antirusse, s’en prendre au Front démocratique », a estimé Andrija Mandic à la fin du procès. Moscou a démenti toute implication.
Depuis, Milo Djukanovic a été réélu président en 2018, le Monténégro a rejoint l’Otan en 2017 et poursuit ses négociations d’adhésion à l’Union européenne. Quant au Front démocratique, il reste affaibli.
Deux Russes, présentés par le parquet monténégrin comme des membres de la communauté du renseignement, sont jugés par contumace.
Des Serbes sont également accusés, dont un ancien général de gendarmerie, militant anti-Otan, ainsi qu’une femme, réfugiée depuis plusieurs mois à l’ambassade de Serbie au Monténégro.
Le procureur Sasa Cadjenovic s’est dit convaincu que les accusés appartenaient à un « groupe criminel organisé fonctionnant selon des règles bien définies, avec un contrôle interne et de la discipline ».
Mais aux yeux de nombreux observateurs, l’accusation n’est pas parvenue à éclaircir les zones d’ombre sur lesquelles a insisté la défense.
Où sont les armes ?
Les armes que les comploteurs auraient projeté d’utiliser n’ont ainsi jamais été produites.
Selon l’acte d’accusation, des dizaines de caisses d’armes automatiques et de munitions, auraient été jetées dans un lac d’un pays voisin, sans qu’il soit précisé lequel ni quand. Le fournisseur, un Serbe, qui aurait dénoncé les comploteurs, les aurait ainsi détruites à la demande de la justice monténégrine.
Un scénario jugé « incroyable » par l’ex-ministre de la Justice devenu avocat, Dragan Soc, qui estime tout aussi « invraisemblable » qu’aucune demande n’ait été faite auprès des pays voisins pour retrouver cet arsenal.
« Sans ces armes, l’histoire d’un renversement violent du pouvoir devient peu convaincante », dit à l’AFP ce juriste respecté, estimant que l’accusation n’avait pas apporté de « preuves matérielles solides ».
Déstabilisation
L’accusation a également été confrontée aux revirements du principal témoin à charge, Aleksandar Sindjelic, initialement arrêté mais très vite libéré.
Recherché par la justice croate dans une affaire de meurtre distincte, il avait accepté de coopérer avec le parquet.
Au début du procès, ce Serbe avait affirmé que le Front démoccratique était « financé par de l’argent venant de Russie » d’où serait venue l’aide pour un renversement violent du pouvoir.
Mais en mars, il avait expliqué à la télévision serbe Happy qu’il n’y avait pas eu « de projet de violence à Podgorica », « uniquement une manifestation » des anti-Otan.
Le tribunal avait refusé de l’entendre de nouveau, expliquant que son revirement ayant été exprimé hors de tout cadre judiciaire.
Le Front démocratique a prévenu qu’une condamnation de ses responsables risquerait d' »irrémédiablement destabiliser le Monténégro ».