L’hélicoptère des garde-frontières entame un virage serré et en bas apparaît une mince bande de sol jaune dans la forêt, puis un grillage surmonté de spirales de fil barbelé: c’est le mur letton séparant l’Union européenne de la Russie.
Quinze ans après l’adhésion de la Lettonie à l’UE, à quelques semaines des élections européennes, quels sont le rôle et l’image de l’Union au Latgale, cette région pauvre, à 2000 km de Bruxelles et à 600 seulement de Moscou ?
Avant que le « mur » apparaisse à partir de 2017, le Latgale faisait souvent parler de lui en raison de la contrebande de cigarettes et de vodka russes et des intrusions de migrants illégaux, Vietnamiens, Sri Lankais, Afghans et Syriens.
« En 2016, on a battu le record avec 140 interpellations », confie le lieutenant-colonel des garde-frontières Sandris Buliga. « Puis on a commencé à construire le mur et l’immigration a nettement baissé. »
La contrebande de cigarettes a chuté elle aussi.
La Russie s’est éloignée
La Russie, bien que proche, s’est éloignée, l’Europe est devenue plus présente, sans la moindre frontière jusqu’aux rives de l’Atlantique.
Pour Andris Mejers, artisan charcutier local spécialiste de saucisses et de lard salé, l’Union rime avec l’ouverture du marché occidental.
« Avant, nous allions à Moscou, à Saint-Pétersbourg. Mais maintenant la frontière s’est fermée. Donc nous allons ailleurs. En Allemagne, en Pologne, en Suède, j’étais allé aussi à Bruxelles, avec mon lard », raconte-t-il.
« J’ai des documents européens, qui sont faits ici. Ils confirment la qualité de mes produits qui sont ainsi acceptés partout. »
Presque tous les habitants de la région interrogés par l’AFP en avril disent ne pas considérer leur grand voisin russe comme une menace immédiate pour la Lettonie et ses 1,9 million d’habitants.
Mais ils sont conscients qu’en cas de conflit, leur défense n’a aucune chance.
« Poutine est imprévisible, tel un conducteur novice au volant: on ne sait jamais ce qu’il fera », affirme Ilmars Ostrovskis, chef d’une entreprise qui assure la gestion et l’entretien d’une quarantaine d’immeubles.
« La protection offerte par l’UE est plus morale que réelle », pense ce quinquagénaire, qui doute que l’Occident vienne à la rescousse en cas de besoin.
En attendant, les Lettons sont tous d’accord pour se féliciter des subventions européennes (7,2 milliards d’euros net depuis 2004) qui profitent aux infrastructures, aux entreprises et aux agriculteurs.
La ferme de Skaidrite Marcenoka, une ex-médecin citadine convertie à l’agriculture, en fournit une éclairante démonstration dans le village de Pasiene.
« Vaches européennes »
Des machines agricoles flambant neuves attirent le regard dans les champs encore nus en cette fin d’hiver. La patronne de l’exploitation explique que des taureaux charolais et limousins ont rejoint les bêtes locales au poil marron: Elle plaisante: « mes vaches sont devenues plus européennes ».
Sa ferme de 150 hectares (dont 50 hectares loués à une société suédoise qui a racheté massivement des terres agricoles pour y planter des arbres) touche des subventions annuelles d’environ 230 euros par hectare, grâce à son label « bio », alors qu’une exploitation ordinaire n’en reçoit que 130 par hectare.
« En moyenne, quelque 40 % des investissements dans l’agriculture sont compensés par l’UE », dit encore Marcenoka qui est aussi une responsable locale.
La seule critique – indirecte – revenant dans les conversations concerne la transparence dans la gestion de la manne européenne.
« Beaucoup de responsables locaux ou d’entrepreneurs s’attribuent de l’argent incorrectement », dit à l’AFP l’historien et auteur de plusieurs livres sur le Latgale, Agris Dzenis. « Les devis sont parfois gonflés ( ?) et on utilise des matériaux de mauvaise qualité qu’on enfouit sous les routes. »
L’église et la synagogue
Une autre critique est formulée par l’ancien maire communiste de Ludza, co-fondateur du parti socialiste letton, Fridijs Bokiss. « Les investissements européens sont vains, parce qu’ils n’empêchent pas les gens de quitter Latgale », dit-il, tout en reconnaissant que l’UE finance même un programme de coopération locale avec la région russe de Pskov. La Lettonie, selon lui, « devrait quitter l’Otan pour avoir de bonnes relations avec Moscou ».
Le maire de Ludza, Edgars Mekss, est beaucoup plus enthousiaste, chiffres à l’appui.
« Au cours de la dernière décennie, nous avons obtenu 16,2 millions d’euros pour 90 projets différents. Pour chaque euro déboursé de notre budget à nous pour des travaux de construction ou l’installation de canalisations, restauration de l’église et de la synagogue, nous touchons 4,7 euros de l’UE. Sans cela, notre région frontalière ne pourrait pas se développer ».
La Lettonie a rejoint la zone euro en 2014. 73 % des Lettons approuvent l’appartenance de leur pays à l’UE, selon Eurobaromètre. L’Otan n’est pas loin derrière, avec environ 60 % d’opinions favorables.