De l’Ode à la joie de Beethoven au passé nazi de Karajan: l’histoire secrète de l’hymne européen

«Tous les hommes deviennent frères.» Comment mieux définir l’esprit européen, né après la Seconde Guerre mondiale, qui souhaitait restaurer une paix durable sur le Vieux continent ?

Ce vers est issu du poème de Friedrich von Schiller L’Ode à la Joie, écrit en 1785, et mis en musique dans le quatrième mouvement de la Symphonie n° 9 de Ludwig van Beethoven en 1824. Un air devenu l’hymne officiel des institutions européennes pour son caractère universel et ses valeurs, mais dont les paroles rédigées par Schiller sont absentes. Une particularité liée à l’histoire mouvementée de l’hymne européen. C’est ce que rappelle Esteban Buch dans son ouvrage de référence La Neuvième de Beethoven: une histoire politique (Gallimard).

Tout au long du XIXe siècle, Beethoven et son Ode sont perçus comme des symboles de liberté, d’émancipation. On la surnomme l’«hymne maçonnique d’Europe», en référence au rôle joué par les loges dans le développement démocratique européen. Les cérémonies du centenaire de la mort de Beethoven, en 1927, redonnent une place de choix à Beethoven et son œuvre dans l’imaginaire politique du XXe siècle. «Les commémorations permettent de donner une image qui représente des enjeux politiques et culturels, explique Esteban Buch lundi 20 mai sur France Musique. On est au seul moment un peu heureux de l’Entre-deux-guerres, et les célébrations permettent de répandre le message de Beethoven, frappé du sceau de la fraternité.»

Après sa création, l’Ode à la Joie devient rapidement un objet politique. Toutes les idéologies se l’approprient. «Les Soviétiques disent que cela représente ce qu’il y a de mieux dans l’utopie communiste, les Américains expliquent que c’est le symbole du libéralisme», détaille Esteban Buch. Pendant ce temps, des personnalités sifflotent la 9e Symphonie en plaidant à la construction d’une fédération européenne. Comme Aristide Briand en 1929. Devant la Société des Nations, il évoque le projet paneuropéen de Richard Coudenhove-Kalergi, qui souhaite adopter L’Ode à la Joiecomme hymne. La Guerre passe par là et met fin à tout espoir d’unité.

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