Au Soudan, les salariés du secteur dénoncent la faillite économique du régime Béchir

Femmes en tailleurs et hommes en chemise-cravate:les salariés du monde des affaires sont montés en première ligne lors de la « grève générale » de mardi et mercredi à Khartoum pour dénoncer ce qu’ils considèrent être la faillite économique de l’ancien régime.

La contestation populaire qui secoue le Soudan depuis plus de cinq mois a éclaté après la décision de tripler le prix du pain, dans un contexte de marasme économique, avant de prendre rapidement une tournure politique contre le régime d’Omar el-Béchir, destitué par l’armée le 11 avril après trente ans de pouvoir.

Cette semaine, médecins, avocats, employés de l’aviation civile ou encore des transports publics ont répondu à l’appel à la grève lancé par les leaders du soulèvement populaire, dans le but de faire plier l’armée, laquelle refuse toujours de céder le pouvoir aux civils.

Durant deux jours, ces cols blancs ont été en première ligne, et les plus bruyants dans les rues de Khartoum.

A Al-Mogran, le quartier des affaires, dans l’ouest de la capitale, des employés de diverses entreprises se sont réunis mercredi devant le siège de la Banque centrale, dont des employés avaient été, disent-ils, « agressés » la veille par l’armée.

Le Conseil militaire, qui a pris les rênes du pays, reste dirigé par des hommes proches du président déchu, dont le bilan économique est décrié par les manifestants.

« Effondrement total »

« C’est un effondrement économique total », déclare à l’AFP Youssef Abdelrahim, fonctionnaire au ministère des Finances et de la Planification économique. « L’Etat n’a plus été en mesure d’assurer les liquidités et l’essence. Ceci a été la première raison » de la révolte, selon lui.

« Cette crise a montré l’incapacité du régime dans le domaine économique et sa politique du rafistolage. Le citoyen a complètement perdu confiance dans l’Etat », renchérit M. Abdelrahim, tandis que les protestataires dans son dos entonnent des chants au rythme des klaxons d’encouragement des véhicules de passage.

Abdelrazek Amanallah, un banquier de 27 ans, ne se montre pas plus tendre.

« Ils ont détruit le pays par la corruption, ils ont volé ses richesses: le pétrole, le gaz, l’or, tout ! », fustige le jeune homme, petite barbe bien taillée et cravate noire parfaitement nouée autour de sa chemise blanche malgré la chaleur écrasante.

« Il n’y a plus d’argent dans les banques. Tout est parti dans les poches des +kizan+ », ironise-t-il en référence au surnom attribué aux islamistes, à l’aide desquels Omar el-Béchir avait pris le pouvoir par un coup d’Etat et qui se sont accaparés, selon nombre de Soudanais, les richesses du pays.

« L’argent parti dans les guerres »

En 2011, à l’issue de plusieurs années de guerre civile, la sécession du sud du pays a privé le Soudan des trois quarts de ses réserves de pétrole et de l’essentiel des revenus issus de l’or noir. Depuis, le pays souffre d’un manque de devises étrangères et de pénurie de liquidités.

« Sous l’ancien régime, les revenus du pétrole n’ont pas bénéficié à l’économie », affirme Ali Ibrahim, un géologue de 49 ans travaillant pour un consortium pétrolier.

« Où sont-ils passés ? C’est la grande question. Il faut la poser aux responsables, au gouvernement. Nous sommes de simples employés chargés de rechercher et produire » cette matière première, explique-t-il, sans relâcher la bannière qu’il tient avec des collègues malgré la sueur qui perle sur son front.

« Le pouvoir militaire a alimenté les guerres tribales. L’argent est parti dans les conflits au sud ou au Darfour. Il n’a jamais été utilisé pour développer le pays, les hôpitaux, l’éducation », dénonce Salwa Mohamed, une fonctionnaire de 56 ans au ministère des Finances et de la planification économique.

« Pendant 30 ans notre économie a souffert, nous n’avons jamais vraiment fait de progrès. M. Béchir était un militaire et ceux qui nous dirigent sont toujours des militaires », regrette-t-elle en réajustant ses lunettes fumées.

« Nous voulons des civils compétents pour reprendre ce pays en main », insiste-t-elle, jurant d’un ton ferme qu’elle ne veut plus servir les intérêts d’un pouvoir militaire.

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