France : les habitants appellent ce territoire isolé le Kreiz Breizh ou l’Argoat

On ne vient pas à Trémargat par hasard. La commune bretonne se trouve dans un coin reculé des Côtes-d’Armor. Les habitants appellent ce territoire isolé le Kreiz Breizh ou l’Argoat, « le pays des bois » et des rochers, où la terre pauvre et le climat rude n’attirent que les plus téméraires.

Le 26 mai, lors des européennes, les habitants de « Trem » ont voté à 38,71%pour EELV, le Rassemblement national n’a obtenu que 3 des 98 voix exprimées et LREM est arrivée dernière, avec une seule voix. Des résultats à contre-courant de la tendance nationale, mais habituels dans ce patelin de 200 habitants.

« L’écologie, c’est la base de tout », explique dans un sourire Marie-Jo, Trémargatoise depuis trente ans. Affairée dans le petit enclos communal où poussent menthe verte et persil, l’agricultrice aux cheveux flamboyants attend une livraison de bois. « J’ai toujours réfléchi à notre façon de consommer. J’habite dans un chalet autonome, je me chauffe avec des panneaux solaires. Je n’ai aucun appareil électrique, pas de portable ou internet, explique celle qui se définit volontiers comme collapsologue.

Le 26 mai, Marie-Jo a donc voté pour les écologistes d’EELV, « valeur sûre » à ses yeux, mais sans engouement particulier pour le parti non plus. « Ils sont au plus près de mes idées, mais est-ce qu’ils veulent vraiment remettre en question notre système basé sur le pétrole ?, interroge-t-elle. Je suis convaincue que les années à venir vont être difficiles, et les premiers touchés seront sans doute les pays du Sud. Je vote parce que c’est encore la seule solution pour changer les choses. »

Un modèle de décroissance depuis quarante ans

Marie-Jo est loin d’être une exception à Trémargat. Depuis les années 1970, la commune désertée après la Seconde Guerre mondiale, a été réinvestie par une majorité de paysans originaires de Rennes ou Paris. Tous étaient guidés par la même pensée : la décroissance. Maire depuis 2014, Yvette Clément fait partie des familles « pionnières » à avoir repris une des bergeries délaissées par les précédents propriétaires, pour beaucoup des pieds-noirs du Maroc, mais pour qui les rendements n’ont jamais été suffisants. « La terre est très pauvre, pendant longtemps même les paysans bretons ne voulaient pas que leurs enfants reprennent leurs fermes. Ils sont partis travailler dans l’industrie », explique l’édile, assise dans le bureau de la petite mairie aux fenêtres vertes.

Ces années sont donc celles de l’arrivée des « blev-hir » (cheveux longs). Des « néo-ruraux » nourris des luttes du Larzac, du désenchantement des Trente Glorieuses et de la société de consommation. Yvette Clément et ses collègues paysans adhèrent à La Conf, le syndicat pour une agriculture non productiviste. « On partait du principe qu’on avait une terre, qu’il fallait la mettre en valeur, la respecter et qu’elle devait nous permettre de vivre, mais pas pour faire de l’argent. »

L’installation ne se fait pas sans douleur. Les familles se battent pour préserver leur modèle, plusieurs fois menacé par des industriels, mais sauvé du remembrement – regroupement de plusieurs parcelles en une surface plus grande et plus rentable – par son relief impropre aux grandes exploitations. Aujourd’hui, sur 16 000 hectares de terre, 700 sont alloués à l’agriculture, le reste est une réserve environnementale.

Petit à petit, ce mode de vie décroissant a attiré de nouveaux habitants et s’est élargi à la vie locale. Le maire est élu pour un seul mandat. Une seule liste se présente aux élections et le conseil municipal met en œuvre un projet émanant des idées des habitants. Pour favoriser l’installation de nouveaux paysans, une société civile immobilière (SCI) a été constituée et loue des parcelles à ses éleveurs. Des associations dédiées aux migrants, à l’organisation de concerts, à la gestion de l’épicerie ont été créées. Elles sont gérées à tour de rôle par des habitants bénévoles.

A l’heure où les « néo-ruraux » partent à la retraite, le modèle se transmet en douceur. Leurs enfants et d’autres jeunes agriculteurs ont déjà pris la relève. Ils produisent du fromage de brebis ou se lancent dans le maraîchage bio. A Trémargat, l’écologie sonne comme une évidence, avant d’être le nom d’un parti.

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