Au Danemark, deux décennies d’austérité migratoire

Jaloux de sa prospérité et de sa cohésion, le Danemark sort de deux décennies de rigueur migratoire sous l’influence d’un parti populiste dont la ligne et le discours font aujourd’hui largement consensus, à droite comme à gauche, au grand dam des immigrés qui s’estiment stigmatisés.

A l’approche des législatives du 5 juin, la sociale-démocrate Mette Frederiksen, probable future Première ministre, s’est engagée à poursuivre la politique d’immigration et d’intégration du gouvernement sortant du libéral Lars Løkke Rasmussen, soutenu par les populistes du Parti du Peuple danois.

« Les sociaux-démocrates se sont dit que pour ne pas perdre une autre élection sur les questions d’immigration, ils devaient copier la politique des libéraux et du Parti du Peuple danois », affirme à l’AFP le politologue Flemming Juul Christiansen, chercheur à l’Université de Roskilde.

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Depuis 2001, occupant une position charnière, le Parti du Peuple danois dicte la politique d’immigration et d’intégration du royaume scandinave de 5,6 millions d’habitants, dont près de 10 % sont nés à l’étranger.

Cette formation populiste anti-immigration a chèrement monnayé son soutien aux gouvernements de droite au pouvoir 14 des 18 dernières années, et son corpus idéologique et sémantique est désormais la norme.

« Ce qu’on pensait extrême il y a dix ans est désormais un discours commun au Danemark », avance Kasper Hansen, professeur de sciences politiques à l’Université de Copenhague.

Coût social

Pas de regroupement familial pour les conjoints de moins de 24 ans, saisie des effets de valeur des migrants, peines aggravées pour les délits commis dans certains quartiers sensibles: sur le territoire comme aux frontières, le message est univoque.

« Nous ne voulons pas que le Danemark devienne une société plus multi-ethnique », martèle Hans Kristian Skibby, parlementaire du Parti du Peuple danois venu à la rencontre de ses électeurs à Horsens (ouest).

Au premier trimestre 2019, 620 personnes ont déposé une demande d’asile, le chiffre le plus bas depuis 2008.

Pour les résidants étrangers ou d’origine étrangère installés au Danemark, les indicateurs de l’intégration sont contrastés.

Ils sont de moins en moins à dépendre d’aides sociales: de 33 % en 2015, ils n’étaient plus que 28 % en 2018. Ils sont aussi de plus en plus nombreux à participer aux programmes d’insertion par l’emploi de 30 % en 2011 à 41,6 % en 2017, selon le Conseil nordique.

Toutefois dans un pays de quasi plein emploi, le taux d’activité des Danois de souche était, en 2017, de 80 % mais ne s’élevait qu’à 56 % pour les immigrés d’origine « non occidentale » — c’est l’expression consacrée au Danemark.

Outre le défaut de maîtrise de la difficile langue danoise, l’écrivain Jens Christian Grøndahl explique le phénomène par le manque d’emplois non qualifiés qui pourraient « absorber » les étrangers sur le marché du travail.

« L’Etat-providence n’a pas vocation à être providentiel: c’est une construction protestante fondée sur la responsabilité et la participation de chacun », dit-il. Autrement dit les Danois, qui consentent à une pression fiscale parmi les plus élevées d’Europe, ne veulent pas payer le coût social de l’immigration.

Malgré ses cinq années d’études supérieures en science du développement et la pratique de cinq langues, Julian Murhula, arrivé du Congo comme réfugié il y 16 ans, n’a jamais trouvé de contrat de travail stable.

Comme lui, seuls 52 % des étrangers au Danemark se sentent intégrés, selon le baromètre de l’intégration publié par le ministère du même nom.

Stigmatisation

En 2010, le gouvernement a publié une liste de « ghettos » désignant les quartiers défavorisés à forte population immigrée. L’idée est d’identifier les poches de ségrégation et d’y injecter des moyens financiers et humains, mais leurs habitants dénoncent un vocabulaire stigmatisant qui ne favorise pas leur sentiment d’appartenance à la communauté nationale.

« Je connais beaucoup d’étrangers que le système ici a détruits », déplore Julien Murhula.

Pour Ulf Hedentoft, spécialiste des cultures politiques à l’université de Copenhague, les Danois « s’identifient comme un groupe homogène en opposition aux ‘autres' ».

Et le débat sur la place de l’islam au Danemark fait rage depuis la publication de caricatures de Mahomet par le quotidien Jyllands-Posten en 2005 qui avait déclenché une vague de protestations violentes dans le monde arabe.

Devenu un parti du « système », le Parti du Peuple danois devrait s’effondrer le 5 juin — comme aux européennes –, au profit des sociaux-démocrates mais aussi de deux nouvelles formations d’extrême droite, « Nouvelle Droite » et « Ligne Dure », dont le chef de file organise régulièrement des autodafés du Coran sur la place publique.

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