Venise : paquebot ivre et politiciens incapables

Statistiques et dossiers techniques à l’appui, les armateurs et les compagnies de croisières étaient pourtant formels : il était impossible qu’un paquebot soit victime d’un accident dans la lagune de Venise.

La bataille des « no navi » (non aux paquebots) est un combat d’arrière-garde mené par des nostalgiques de la décroissance heureuse qui veulent supprimer des milliers d’emplois. Mais dimanche 2 juin, à 8 h 34 du matin, cette certitude a volé en éclats.

A VOIR : La collision sur le canal de la Giudecca à Venise

Un black-out, encore inexpliqué, a transformé le MSC Opera, un immeuble flottant de 13 étages, long de 275 mètres et pesant 66 000 tonnes, en un paquebot ivre sur les rives de la cité des Doges. « J’ai vu qu’il prenait de la vitesse et fonçait vers le ponton des Vaporetto de San Basilio, où il y avait de nombreux touristes, a raconté Andrea Ruaro, qui pilotait un des deux remorqueurs ayant pris en charge le MSC Opera. J’ai mis toute la puissance pour le ramener vers le milieu du canal, mais c’était impossible. » Le paquebot prend encore davantage de vitesse, atteignant 7 nœuds, et, selon le préfet de Venise, « se comporte comme une voiture folle dont la direction s’est cassée ». Il se dirige vers le quai et percute le River Countess, une sorte de bateau-mouche vénitien, avec 130 personnes à bord, avant de se planter dans le quai. Dans la panique générale, certains touristes se jettent à l’eau. Le bilan, cinq blessés légers, est miraculeux.

Une catastrophe annoncée

Une catastrophe évitée, mais annoncée. Jusqu’en 2012, le débat se concentrait sur l’incongruité esthétique de voir, toutes les 4 heures, se découper dans le canal de Giudecca, devant la place Saint-Marc, la silhouette de l’un de ces géants des mers. Mais, le 13 janvier 2012, le Costa Concordia sombre devant l’île du Giglio en faisant 32 victimes. Un accident stupide, dû à l’inconscience du commandant, qu’aucune analyse technique n’aurait pu prévoir et qu’aucun équipement technologique n’aurait pu éviter. Les paquebots ne sont pas seulement esthétiquement discutables, ils sont dangereux. Et c’est à Venise qu’un accident pourrait avoir les plus graves conséquences. Des parcours alternatifs sont étudiés. Le plus simple consisterait à contourner Venise en entrant dans la lagune par la bouche de Malamocco jusqu’à Porto Marghera, où des embarcations plus petites prendraient en charge les touristes.

Un décret est signé en mars 2012. Mais ce sont trois écoles de pensée qui s’affrontent. Les purs et durs remettent en cause le tourisme de masse et voudraient interdire la lagune aux paquebots. Les « réalistes » souhaitent un contournement de Venise, mais l’acheminement des touristes dans la lagune. Enfin, les compagnies de navigation ne veulent pas renoncer au défilé devant la place Saint-Marc, qui est le moment phare de la croisière. De lobbying en recours devant le tribunal administratif, les faibles gouvernements qui se succèdent ne parviennent pas à faire exécuter le décret. En 2018, le « gouvernement du changement » arrive au pouvoir. L’opinion publique s’est mobilisée et il est urgent d’agir.

L’opposition entre M5S et la Ligue

Toutefois, sur les paquebots comme sur le reste, M5S, hostile aux navires dans la lagune et qui détient le ministère des Transports, s’oppose à la Ligue qui soutient les commerçants vénitiens et les compagnies de navigation. La confusion est totale, le projet de conduire les navires de croisière à Marghera reste dans les cartons. Un casus belli supplémentaire entre les partenaires du gouvernement. « Une solution pour éviter les accidents en élargissant le canal de Porto Marghera a été élaborée l’an dernier, a déclaré Matteo Salvini après l’accident de dimanche. Mais tout est bloqué par un ministère, et ce n’est pas un ministère de la Ligue. »

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