Depuis que Donald Trump a renforcé la frontière Sud des États-Unis, certains Mexicains passent par le Canada pour se rendre illégalement dans ce pays. Une stratégie efficace?
Plus ça change, plus c’est pareil. Chaque année, ils sont encore des milliers de Latino-Américains à tenter leur chance pour entrer légalement ou illégalement aux États-Unis. Si Donald Trump a réussi à réduire le nombre de migrants clandestins, la pression migratoire reste à son comble à la frontière Sud du pays de l’Once Sam. Le problème est tel que le Mexique a été forcé par Washington à s’engager à mieux lutter contre l’immigration illégale. Après avoir menacé le Mexique de déclencher une guerre économique, Trump espère traiter le problème à la source, ou presque…
Mais les migrants ont plus d’un tour dans leur sac pour tenter de vivre le rêve américain. Dans une pizzéria de la ville d’Oaxaca, au Mexique, un fonctionnaire fédéral mexicain a expliqué le nouveau stratagème employé par certains migrants. Une pratique qui n’aurait déjà plus rien de secret pour la population de cette ville colorée du Sud. De plus en plus de migrants mexicains décident maintenant de passer par le Nord, c’est-à-dire par le Canada, pour atteindre la Terre promise.
«Dans les prochains jours, au début du mois de juillet, mon cousin et l’un de mes amis vont se rendre au Canada par avion. Dès qu’ils vont atterrir et passer les douanes, ils vont aller directement là où il est possible de passer la frontière à pied, quelque part dans la forêt», a confié le fonctionnaire fédéral mexicain, qui a préféré conserver l’anonymat.
L’arrivée du Président Trump à la Maison-Blanche n’explique toutefois pas tout. Le projet de construction du fameux mur et la militarisation partielle de la frontière ne sont pas les seuls facteurs motivant des migrants à passer par le Canada. Depuis le 1er décembre 2016, les Mexicains n’ont plus besoin de visa traditionnel pour entrer au Canada. En échange de cet assouplissement des règles, le Mexique a ouvert ses portes aux producteurs canadiens de bœuf. Si la frontière américaine a fortement été renforcée au Sud, la frontière canadienne est maintenant plus facile –légalement– à franchir pour les Mexicains.
«Plus Trump va renforcer la frontière, plus il y aura de Mexicains tentés par l’idée de passer par le Canada pour atteindre leur but. La crise migratoire va continuer avec l’économie, le Venezuela et tout. […] Ce n’est plus un secret pour personne. Le Canada donne des visas par Internet, alors les gens utilisent cette technique. Mon cousin et mon ami ont déjà obtenu leur visa par Internet. Ils n’ont rien à perdre. Au pire, ils seront arrêtés et reviendront au Mexique», a ajouté le fonctionnaire anonyme.
Depuis 2016, pour entrer au Canada, les Mexicains ont seulement besoin d’une Autorisation de voyage électronique (AVE). Pour obtenir ce document virtuel, les demandeurs remplissent un formulaire sur le site du gouvernement canadien. Généralement, ce document leur est fourni en seulement quelques minutes. La procédure est exactement la même pour les citoyens européens. Jusqu’à ce jour, il demeure plutôt rare qu’une autorisation soit refusée à un citoyen mexicain. En revanche, il arrive que l’AVE d’une personne soit révoquée dans les heures précédant son vol.L’entrée des Mexicains facilitée au Canada depuis 2016
Le ministère de l’Immigration du Canada n’a pas nié l’existence de ce nouveau stratagème. Les autorités canadiennes et américaines travailleraient en étroite collaboration sur ce dossier:
«Le Canada prend très au sérieux sa responsabilité à l’égard de sa frontière commune avec les États-Unis. L’Agence des services frontaliers du Canada et la Gendarmerie royale du Canada continueront d’assurer la liaison avec leurs homologues des États-Unis pour veiller à ce que toute préoccupation qui pourrait survenir en lien avec la migration irrégulière soit gérée en collaboration avec les partenaires américains», a répondu Nancy Caron, porte-parole du ministère canadien de l’Immigration.
Pour traverser illégalement la frontière Sud des États-Unis, les migrants courent de plus en plus de risques. Récemment, la photo d’un père et de sa fille, tous deux noyés dans le Rio Grande, a ému le monde entier. La traversée de la frontière américaine, via le Canada, est une occasion en or pour les migrants mexicains qui en ont les moyens. Rappelons que les migrants doivent souvent faire appel à des passeurs, qui leur extorquent des sommes très élevées pour leurs services.
«Le gouvernement du Canada continue de suivre de près les tendances en matière de migration du Mexique, y compris les demandes d’asile et d’autres indicateurs. Nous continuons également de travailler avec le Mexique sur toutes les questions liées à la dispense de visa. En vue de la levée de l’exigence de visas le 1er décembre 2016, le Canada a travaillé en étroite collaboration avec le Mexique pour mettre en place des mesures visant à protéger le Canada contre les risques associés à la migration irrégulière», a ajouté la porte-parole.
María Guadalupe Mónica Verea Campos, spécialiste renommée des migrations, se montre toutefois assez sceptique. Professeur à l’Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM), elle estime que les données «scientifiques» n’existent pas encore sur le sujet.
«Les Haïtiens entrent au Canada en raison de la fin du programme TPS [Programme du statut de protection temporaire, ndlr] aux États-Unis. Mais il n’est pas établi que des migrants du Mexique se rendent au Canada, puis se faufilent à la frontière américaine. J’ai toujours pensé que c’était un moyen évident d’entrer aux États-Unis, mais ça n’a pas été le cas.
Rappelez-vous que les migrants doivent être en contact avec quelqu’un pour se faufiler aux États-Unis. De plus, chaque fois que vous arrivez au Canada, vous devez démontrer le but de votre voyage et votre retour», a précisé Mme Verea Campos.
En 2017, le Canada a vécu la première crise migratoire de son histoire récente, lorsque des milliers d’Haïtiens en provenance des États-Unis se sont rués à sa frontière pour demander l’asile. La question migratoire semble de plus en plus prise au sérieux au pays de l’érable. Le Parti conservateur a promis d’enrayer l’immigration illégale s’il parvenait à battre Trudeau aux élections du 21 octobre prochain.
Auteur : Jérôme Blanchet-Gravel