«La Deutsche Bank telle que vous la connaissez n’existe plus», a déclaré dimanche son directeur général Christian Sewing.
La plus grande banque d’Allemagne ne fera plus de commerce d’actions, a renoncé à la plupart des opérations d’investissement et a réduit son personnel de 92.000 à 74.000 personnes. Tout cela s’inscrit dans un vaste plan de restructuration appelé à redresser le chiffre d’affaires de la banque. Pourquoi la plus grande institution financière du pays traverse-t-elle une crise et y a-t-il une issue?
Une transformation radicale
Depuis fin juin, on entendait parler d’une importante suppression d’emplois à la Deutsche Bank en difficulté. Le quotidien américain Le Wall Street Journal affirmait qu’entre 15.000 et 20.000 collaborateurs seraient limogés. Cette information a finalement été confirmée: la banque a annoncé le lancement d’une vaste restructuration impliquant la suppression de 18.000 emplois d’ici 2022.
«La Deutsche Bank transforme radicalement son modèle d’activité pour devenir plus rentable, accroître le rendement des actionnaires et stimuler une croissance durable», stipule le communiqué officiel de l’établissement bancaire.
Il est prévu de réduire significativement le service des investissements et de fermer le département asiatique. La banque cesse de vendre des actions et des obligations, mais elle maintiendra son activité sur les marchés du capital social. Selon l’idée de la direction, cela permettra de se focaliser sur les actifs spécialisés comme les services bancaires aux entreprises et aux particuliers, ainsi que les opérations monétaires.
Comme le précise Business Insider, des suppressions de postes ont déjà commencé au siège de Londres, comme l’a confirmé l’un des collaborateurs de la banque qui a quitté le bureau «avec un sac à dos, des dossiers et un fourre-tout». D’autres ont témoigné que littéralement quelques heures après l’annonce des suppressions de postes par la direction, ils avaient reçu la consigne de récupérer leurs affaires avant 11 heures du matin car leurs badges cesseraient de fonctionner.Avec près de 8.000 collaborateurs à la City de Londres, la Deutsche Bank est l’un des plus grands employeurs de cette place financière mondiale.
«Je regrette que pour le rétablissement de notre banque nous devions engager des suppressions massives», a noté le directeur exécutif de la banque Christian Sewing. Mais, d’après lui, «cela servira les intérêts à long terme de la banque», c’est pourquoi il fallait agir résolument.
La restructuration devrait régler le problème principal: des dépenses trop élevées pour peu de profit. D’ici 2022, il est prévu de réduire les dépenses d’un quart, soit de 6 milliards d’euros par an.
Dans le même temps, la banque a reconnu que suite à la restructuration, au deuxième trimestre les pertes nettes atteindraient presque 3 milliards d’euros, pour un total de 7,4 milliards d’euros d’ici 2022.
Une période difficile
Comme l’a rappelé le président du conseil de supervision de la Deutsche Bank Paul Achleitner, la banque a traversé une «période difficile».
Les problèmes sont survenus après la crise financière mondiale, quand avait été découvert un «trou» de 12 milliards d’euros. Le gérant de la banque à l’époque, Josef Ackermann, avait falsifié le bilan pour persuader les actionnaires que les fonds étaient suffisants. Le gouvernement allemand avait également contribuer à entretenir son image d’établissement financier fiable et sûr. Mais le trou a grandi et la direction prenait des mesures de plus en plus risquées pour redresser la situation.
En particulier, elle s’est impliquée dans des machinations avec le taux Libor (avec la participation d’autres grands acteurs comme les britanniques Barclays et la Royal Bank of Scotland, la suisse UBS et la Société Générale). Quand le problème a fait surface, la Deutsche Bank a été sanctionnée à hauteur de 2,5 milliards de dollars, et l’agence S&P a abaissé sa note de crédit, alors au plus haut niveau, de trois crans jusqu’à BBB+.D’autres épisodes de fraudes et d’abus ont été découverts, notamment avec des titres hypothécaires vendus par la banque avant la crise de 2008, et la banque a également été visée par des accusations de blanchiment d’argent. Les sommes des plaintes et les frais de procès ont grandi par effet boule de neige, et avec elles les pertes.
Une éventuelle faillite de la Deutsche Bank a été évoquée pour la première fois par les analystes en 2013, quand la banque avait reconnu avoir besoin de capitaux supplémentaires. On avait tenté de régler le problème en vendant 4,5 milliards d’euros d’actions. Ensuite, les investisseurs s’étaient vu proposer 8 milliards de titres supplémentaires, mais cette fois avec une remise de 30% par rapport à la valeur marchande, ce qui a suscité l’indignation légitime de ceux qui avaient acheté les actions plus tôt.
Deux ans plus tard, les tests de résistance ont révélé que la Deutsche Bank manquait toujours d’argent. Pour la première fois depuis la crise financière mondiale, fin 2016 la banque a annoncé des pertes nettes de presque 7 milliards d’euros.
En 2018, un nouveau coup dur a été porté par l’investigation Panama Papers sur le scandale des offshores. Il s’est avéré que la plus grande banque allemande aidait ses clients à contourner le fisc en envoyant l’argent dans les offshores. De plus, l’an dernier, la banque a perdu 750 millions de dollars sur la vente d’actions.
Une menace pour l’économie mondiale?
Le Fonds monétaire international (FMI) a reconnu en 2018 la Deutsche Bank comme «la plus grande source de risque parmi les banques systémiques du monde» dans la mesure où le secteur bancaire allemand joue un rôle primordial dans l’économie mondiale.
Par conséquent, la Deutsche Bank pourrait tout à fait provoquer un effondrement global, comme l’avait fait en 2008 l’américaine Lehman Brothers. Selon les experts financiers, la principale menace émane de son portefeuille gigantesque de titres de valeur, estimé à 46.000 milliards d’euros, soit 14 fois le PIB de l’Allemagne.La décision de cette réorganisation a fait suite à l’échec des négociations d’avril sur la fusion avec une autre banque en difficulté, Commerzbank. Cette transaction était perçue comme l’une des options permettant de sauver le géant allemand. Mais au final, les régulateurs allemands l’ont jugé inappropriée: la fusion laissait présager des risques et des dépenses supplémentaires pour la deuxième banque pilier de l’économie du pays.
«La fusion de deux banques-zombies n’aurait pas créé un «champion national», mais seulement un bien plus gros zombie», écrivait alors l’agence de presse Bloomberg.
Plusieurs analystes ne pensent pas qu’une crise mondiale puisse être déclenchée par la Deutsche Bank: la banque redressera la situation, même si ce sera fait avec du retard. Cette banque qui a connu une grande expansion dans les années 1990-2000 n’a pas su réagir à temps à la crise financière et à réduire les affaires au profit de la stabilité. C’est ce qu’elle cherche à faire aujourd’hui.
Toutefois, les investisseurs avertissent que le plan de restructuration pourrait s’avérer non seulement trop radical, mais également excessivement optimiste. Si ce plan ne fonctionnait pas, les problèmes de la Deutsche Bank s’aggraveraient sérieusement sur la toile de fond du ralentissement de l’économie mondiale.