« Le Royaume-Uni ne veut pas suivre les États-Unis sur l’Iran », selon un diplomate britannique

Ancien ambassadeur du Royaume-Uni à Téhéran, Richard Dalton ne voit pas Boris Johnson s’aligner sur la politique de « pression maximale » de Trump.

Un nouvel acteur s’est immiscé dans la crise entre les États-Unis et l’Iran : le Royaume-Uni. Londres a provoqué la fureur de la République islamique après que ses Marines de la Royal Navy ont arraisonné le 4 juillet dernier le Grace 1, un pétrolier iranien, au large de Gibraltar. En représailles, les Gardiens de la révolution, l’armée idéologique de la République islamique, ont saisi le 19 juillet le Stena Impero, un tanker britannique détenu depuis dans le port iranien de Bandar Abbas. Dénonçant un « acte de piraterie étatique », le chef de la diplomatie britannique Jeremy Hunt a annoncé lundi devant la Chambre des communes travailler à la mise en place d’une « protection européenne » pour protéger le passage des navires dans les eaux du Golfe persique.

Toujours signataire de l’accord sur le nucléaire iranien, dont les États-Unis se sont unilatéralement retirés en mai 2018, le Royaume-Uni pourrait changer de politique avec l’arrivée au 10 Downing Street de Boris Johnson, réputé plus proche de Donald Trump. Ancien ambassadeur du Royaume-Uni en Iran entre 2003 et 2006, et désormais diplomate retraité, sir Richard Dalton décrypte pour Le Point le numéro d’équilibriste de Londres avec Téhéran.

Le Point : Avez-vous été surpris par le discours de Jeremy Hunt devant le Parlement britannique ?

-Iran-Royaume-Uni-Londres-pétrolier-tanker- ©  DR

Sir Richard Dalton : Après l’arraisonnement du pétrolier britannique, le ministre britannique devait parler à la Chambre des communes pour expliquer la situation aux députés. Pour ma part, j’accueille favorablement la clarté avec laquelle le secrétaire aux Affaires étrangères a expliqué que, selon le droit international, l’Iran n’avait pas le droit d’obstruer le passage du navire britannique, et encore moins de l’arraisonner.

Sa proposition d’une force européenne pour sécuriser le passage des navires est-elle réaliste ?

Dans les circonstances actuelles, la marine britannique a déjà montré (le 10 juillet dernier, NDLR) qu’il était possible d’empêcher qu’une puissance étrangère obstrue le passage d’un pétrolier. Par conséquent, il est aujourd’hui tout à fait possible de protéger ces navires, à condition que nous ne soyons pas dans un état de guerre. Cela requiert la mobilisation d’un certain nombre de frégates et de destroyers. À ce sujet, je salue la distinction claire qui a été faite par Jeremy Hunt entre la proposition française et allemande (d’une force européenne, NDLR), et celle des États-Unis.

Justement, pourquoi le Royaume-Uni refuse-t-il de faire partie de la coalition que les États-Unis souhaitent mettre en place pour assurer la sécurité maritime dans le Golfe ?

Tout d’abord parce que cette décision n’a pour l’heure pas été suivie d’effet. De plus, les États-Unis souhaitent que cette coalition rassemble des pays majoritairement acheteurs de pétrole du Golfe persique, notamment la Chine, le Japon, la Thaïlande et Singapour. Or, ces États n’ont pas pour habitude de collaborer avec des puissances occidentales (sur des questions de sécurité, NDLR), alors que les Européens peuvent être rapidement mobilisés. Mais la raison principale est que le Royaume-Uni ne veut pas faire partie de la politique américaine de « pression maximale » contre l’Iran, ce dont l’accuse pourtant Téhéran après que Londres a arraisonné un pétrolier iranien à Gibraltar (le 4 juillet dernier, NDLR). Cela fait au moins seize ans que la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni travaillent ensemble sur la question iranienne et ces trois pays sont déterminés à continuer de la sorte, et non à participer à la politique américaine de sanctions contre l’Iran.

Le ministre espagnol des Affaires étrangères affirme que c’est sur ordre de Washington que le Royaume-Uni s’est emparé du tanker iranien. Est-ce vrai ?

On peut le voir comme une proposition américaine, comme le dit le chef de la diplomatie espagnole, mais la décision de s’emparer de ce navire a été prise par le gouvernement (britannique) de Gibraltar, en coopération avec le Royaume-Uni, dans le but d’appliquer les sanctions européennes sur la Syrie (contre la vente de pétrole au régime syrien, NDLR). Il existe un grand désaccord entre Londres et Téhéran sur la légalité de cette décision. Mais les Britanniques maintiennent, sans pour autant donner de plus amples détails, qu’en mettant en œuvre les sanctions de l’UE sur des entités non européennes, ils agissent dans le cadre de la loi. À mon sens, la question de la légalité de cette décision n’est pas la plus importante à ce stade. Il faut trouver un moyen pratique de résoudre cette dispute entre ces deux pays au sujet de leur pétrolier.

Sommes-nous dans une crise ouverte entre le Royaume-Uni et l’Iran ?

Nous assistons en effet à un enchaînement de circonstances difficiles, mais ce n’est pas franchement nouveau dans les relations entre les deux pays. Il y a déjà eu des situations semblables dans le passé, et elles ont été résolues. Maintenant, il ne s’agit pas d’une question strictement bilatérale car elle illustre les tensions qui sont la conséquence du retrait irresponsable et injustifié des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, ainsi que de la guerre économique que Washington a lancée contre l’Iran. Ces mesures américaines augmentent terriblement la tension et compliquent une question qui n’est liée qu’à une dispute au sujet de pétroliers.

La capture par les Gardiens de la révolution du pétrolier iranien vous a-t-elle surpris ?

Elle ne m’a pas surpris du tout. Tout le monde sait que l’Iran ne reste pas bras croisés s’il estime qu’une force injustifiée a été employée contre lui. Deux jours avant l’arraisonnement du tanker, le Guide suprême avait d’ailleurs averti que les Britanniques devraient payer.

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Comment cette crise peut-elle trouver une issue favorable ?

La proposition du Royaume-Uni de relâcher le tanker iranien Grace 1s’il a l’assurance que son pétrole n’était pas destiné à la Syrie est un bon début. Maintenant, on ignore ce que l’Iran a répondu et ce qu’il souhaite au final en échange de la libération du pétrolier britannique Stena Impero : si les Iraniens veulent amener d’autres questions sur la table de négociation que la libération de leur navire. En tout cas, il doit y avoir entre les deux pays des négociations confidentielles. Et si, compte tenu du manque de confiance qui règne entre Téhéran et Londres, des progrès sont impossibles sur le plan bilatéral, alors les deux camps devraient considérer l’intervention d’une tierce partie, comme le secrétaire général de l’ONU.

Sur la crise actuelle entre les États-Unis et l’Iran, l’Europe paraît bien désarmée. Est-ce également votre avis ?

Il n’y a en effet pas de signe qui indiquerait que les E3 (Allemagne, France et Royaume-Uni) enregistrent une percée dans leurs échanges commerciaux avec l’Iran. J’ignore maintenant si la voie entamée par Emmanuel Macron va aboutir. Je n’ai pas d’information à ce sujet.

Le nouveau Premier ministre Boris Johnson, réputé proche de Donald Trump, pourrait-il appliquer une politique plus dure vis-à-vis de Téhéran ?

Je ne pense pas qu’il prenne une position plus « américaine » vis-à-vis de l’Iran. Déjà, comme secrétaire aux Affaires étrangères, il respectait la voie prise par l’Union européenne (UE). Ainsi, je n’attends pas du nouveau gouvernement britannique qu’il abandonne sa coopération sécuritaire avec l’UE, en particulier avec la France et l’Allemagne.

Mais quel lien cela a-t-il avec l’Iran ?

La question iranienne fait partie des intérêts sécuritaires du Royaume-Uni, qui impliquent à ce sujet de conserver une politique proche de celle de ses plus proches voisins.

La stratégie américaine de « pression maximale » sur l’Iran paraît avoir convaincu Téhéran d’accepter de négocier. La « méthode Trump » peut-elle porter ses fruits ?

Tout dépend de l’objectif de cette politique, or celle-ci n’est pas claire du tout. Si le but est de demander à l’Iran de capituler sur des priorités intérieures et internationales, alors cela ne marchera pas. S’il s’agit de s’assurer que l’Iran n’acquiert pas l’arme nucléaire, alors il est nécessaure de rappeler que Téhéran l’avait déjà accepté (dans le cadre de l’accord sur le nucléaire iranien, NDLR). Le problème est qu’il n’y a pas de proposition de la part des États-Unis sur la table de négociation, et donc pas de réponse sérieuse à attendre de l’Iran. Je pense que cette impasse peut durer, mais dans le même temps, il est possible qu’au cours des prochains mois, chaque partie décide d’un nombre limité de priorités et choisisse de négocier dessus.

Les nombreux incidents qui rythment cette situation de blocage ne peuvent-ils pas dégénérer en guerre ?

Un conflit n’est pas inévitable. Si des provocations de part et d’autre peuvent mener à la guerre, je pense néanmoins que les deux pays resteront prudents.

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