Brexit : bras de fer annoncé entre Boris Johnson et l’UE

Sans surprise, Boris Johnson, qui a annoncé sa ferme intention de faire sortir le Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), y compris sans accord, a été élu, mardi 23 juillet, à la tête du Parti conservateur et remplacera Theresa May au poste de Premier ministre britannique.

Si l’UE a salué cordialement « BoJo », comme le surnomment les médias d’outre-Manche, et que le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a déclaré vouloir « travailler de la meilleure façon possible » avec lui, Bruxelles sait qu’elle va devoir traiter avec un politicien atypique, « Brexiter » convaincu et héraut de la campagne du « Vote Leave » en 2016.

« Les réactions à Bruxelles sont superficiellement positives, mais en réalité on sent bien que pour les Européens, la victoire de Boris Johnson est un peu le scénario catastrophe, le pire des scénarii qui avaient été envisagés, c’était même une plaisanterie il y a encore quelques mois dans les cénacles européens », explique le journaliste Pierre Benazet.

« L’idée de le voir succéder à Theresa May était considérée comme ce qui pouvait arriver de pire pour les relations entre le Royaume-Uni et l’UE, tant il est perçu par les Européens comme un personnage incohérent, inconsistant et incompétent qui agit avec dilettantisme, poursuit-il. Ils craignent surtout un Brexit sans accord et que Boris Johnson ne lance son pays contre le mur en franchissant allègrement le pas qui fera tomber le Royaume-Uni de la falaise ».

Le groupe de suivi du Brexit au Parlement européen a prévu une réunion extraordinaire mercredi avec Michel Barnier, le négociateur en chef de l’UE sur ce dossier, « pour répondre à l’élection de Boris Johnson », a annoncé sur Twitter l’eurodéputé belge Guy Verhofstadt, référent du Parlement européen sur ce dossier.

« Nous avons hâte de travailler de façon constructive avec le Premier ministre Boris Johnson, une fois à son poste, pour faciliter la ratification de l’accord de retrait et permettre un Brexit ordonné », a souligné Michel Barnier. Une manière polie de rappeler que l’accord de retrait, négocié pendant dix-huit mois et approuvé par Theresa May, n’était pas renégociable. La semaine dernière, il avait prévenu que le Royaume-Uni « devra faire face aux conséquences » d’une sortie sans accord.

Les négociateurs misent sur la faible marge de manœuvre de Johnson

Boris Johnson, qui a assuré dès sa désignation qu’il allait « mettre en œuvre le Brexit le 31 octobre », dernière échéance en date pour le divorce, avait annoncé la couleur pendant sa campagne pour la conquête du 10 Downing Street. Il avait notamment promis de sortir son pays de l’UE « coûte que coûte », quitte à aller vers un « no deal » synonyme de rupture brutale avec les Vingt-Sept. Tout en promettant un avenir radieux à son pays, quel que soit le scénario, il avait même menacé de ne pas payer la facture du Brexit, qui correspond à la part des engagements financiers pris par le Royaume-Uni conjointement avec les États membres de l’UE.

Un discours musclé et bien plus radical que celui de l’ancienne Première ministre Theresa May, auquel les Européens ont dû se préparer, à mesure que la victoire de Boris Johnson paraissait, au fil de la campagne des Tories, de plus en plus inéluctable.

Les menaces de Boris Johnson ne semblent pas impressionner les Européens, qui s’estiment en position de force. En coulisses, les négociateurs misent sur la faible marge de manœuvre à laquelle pourrait rapidement se heurter l’ancien maire de Londres, loin de faire l’unanimité dans un pays très divisé sur la question du Brexit, et qui ne bénéficiera que d’une majorité très mince au Parlement.

« Les Européens se préparent de plus en plus à ce scénario, tant ils pensent que l’on se dirige vers le ‘no deal’, tout en gardant à l’esprit que le successeur de Theresa May pourrait être bloqué par le Parlement britannique, qui refuse une sortie de l’UE sans accord, et ainsi provoquer de nouvelles élections dans le pays », rapporte Dave Keating, correspondant de France 24 à Bruxelles.

Interrogé par France 24, le député conservateur britannique Dominic Grieve, partisan d’un deuxième référendum sur le Brexit, a indiqué que cette éventualité était possible, tant toute idée d’une renégociation de l’accord lui paraît difficile dans le temps imparti, alors qu’une nouvelle équipe dirigeante européenne s’apprête à prendre place à Bruxelles.

« Boris Johnson a promis de sortir le pays de l’UE à tout prix avant le 31 octobre, même sans accord, mais il va découvrir, on le lui a déjà dit, qu’il ne pourra pas compter, dans ce cas, sur le soutien de plusieurs députés conservateurs, a-t-il affirmé. Je voudrai éviter d’en arriver là, de provoquer la chute du futur gouvernement de Boris Johnson, mais si cela est nécessaire, en cas de sortie sans accord, je voterai en ce sens, je le ferai ».

« Après avoir tenu un langage très dur, en affirmant que quoiqu’il arrive, le Royaume-Uni allait sortir le 31 octobre, il sera bien obligé de le faire, où alors immédiatement de trahir ce qu’il avait promis pendant la campagne, souligne Patrick Martin Grenier, enseignant à Sciences-Po Paris, spécialiste des questions européennes. Boris Johnson est quelqu’un qui bluffe et qui fait des coups de poker constamment ».

À peine sera-t-il installé au 10 Downing Street, que « BoJo » va devoir jouer l’une de ses plus importantes parties, avec pour enjeu l’avenir de son pays.

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