La conclusion d’un accord entre les dirigeants militaires au Soudan et les meneurs de la contestation a permis d’éviter le chaos voire une guerre civile, mais son application soulève de nombreuses questions, estiment mardi des analystes.
Signé dimanche après une médiation de l’Union africaine (UA) et l’Ethiopie, cet accord prévoit un Conseil souverain composé de cinq militaires et six civils qui devra mener, avec un Parlement et un gouvernement, la transition pendant un peu plus de trois ans.
« L’accord n’est pas le meilleur mais c’est mieux que de ne pas avoir d’accord du tout », juge Khaled al-Tijani, un analyste soudanais et rédacteur-en-chef du journal Elaf.
« Le Soudan aurait pu glisser vers le chaos ou peut-être même une guerre civile, ce qui rend cet accord équilibré et rationnel », poursuit-il.
Depuis le 19 décembre, le Soudan est secoué par un mouvement de contestation qui a mené le 11 avril à la chute du président Omar el-Béchir, avant de se mobiliser contre les militaires l’ayant remplacé au pouvoir.
Après des mois de pourparlers régulièrement interrompues par des violences, comme la dispersion meurtrière le 3 juin d’un sit-in devant le QG de l’armée à Khartoum, un accord global a finalement été trouvé.
L’accord « reflète l’équilibre des forces », estime Magdi al-Gizouli, analyste au Rift Valley Institute.
Toutefois, beaucoup restent sceptiques face à cet accord qui est surtout « un compromis entre des rivaux dont les intérêts sont souvent diamétralement opposés », juge-t-il.
L’accord place les services des renseignements sous le contrôle du Conseil souverain et des autorités exécutives, mais ne précise pas le fonctionnement de cette responsabilité partagée, notent les experts.
« C’est un exemple des compromis formels effectués à la va-vite pour éviter d’affronter les questions difficiles », remarque M. Gizouli. « Sans autorité sur le budget de ces forces et leur composition, la manière dont ils peuvent être contenus dans un cadre démocratique n’est pas claire. »
Les services de renseignements étaient utilisés par M. Béchir pour réprimer des opposants, et ont notamment mené la répression des manifestations contre son régime.
Reste également en suspens la question de l’application de l’accord aux redoutés paramilitaires des Forces de soutien rapide (RSF), accusées de la répression du sit-in le 3 juin.
Au moins 127 personnes ont été tuées ce jour-là et plus de 250 sont mortes au total depuis décembre, selon un comité de médecins proche des protestataires.
Selon l’accord, les RSF seront placées sous l’autorité du commandement général de l’armée et une loi déjà existante sur l’armée régulera ses relations avec les autorités exécutives.
Pour Eric Reeves, spécialiste du Soudan à l’Université Harvard, il y a toujours eu « deux armées dans les faits (dont les RSF), qui sont en théorie placées sous le commandement du chef de l’armée ».
Les RSF ont joui d’une certaine autonomie sous le commandement de Mohammed Hamdan Daglo, surnommé Hemeidti, également numéro deux du Conseil militaire au pouvoir.
M. Reeves estime que le général a réussi à s’assurer que « ses forces demeurent intactes » avec l’accord.
« Dans la mesure où Hemeidti garde le contrôle des RSF sous leur forme actuelle, il peut menacer d’entreprendre n’importe quelle action si les généraux militaires ne répondent pas à ses demandes », ajoute-t-il.
L’accord a également révélé des dissensions au sein des contestataires, certains groupes ayant exprimé leur réserves.
Le parti communiste soudanais a jugé qu’il « consolide la domination des militaires ».
Des groupes rebelles du Front révolutionnaire soudanais ont affirmé qu’ils ne pouvaient accepter cet accord qui pose « des obstacles à l’application d’un accord de paix ».
Ils se sont également plaints d’être exclus des discussions.
Ce rejet de l’accord est « extrêmement inquiétant », juge M. Reeves, prévenant qu’il sera essentiel de remédier à cette situation pour assurer la paix dans les régions du Darfour, du Kordofan-Sud et du Nil-Bleu, où sont présents ces groupes rebelles.
Autrement, les chefs rebelles pourraient faire du « chantage » aux généraux et aux meneurs de la contestation, selon M. Gizouli.
Ces tensions au sein de l’Alliance pour la liberté et le changement, fer de lance de la contestation, révèlent des difficultés à maintenir un front uni.
La contestation a réussi à s’assurer 201 sièges sur les 300 du Parlement, « mais il n’y a pas de garanties que cela restera intact », nuance M. Tijani.
Reste à voir si les deux parties respecteront leurs engagements.
« Le Soudan a un historique quant au non-respect de pactes », note M. Tijani. « La question maintenant, c’est dans quelle mesure cet accord contredira cette pratique. »