Chocs post-traumatiques, tremblements, sueurs froides, idées noires: de nombreux vétérans souffrent dans l’ombre au Canada. Heureusement, un nouveau projet a été lancé pour prévenir le suicide chez les ex-militaires. Entrevue avec l’homme d’affaires Laurent Proulx, fondateur du groupe «Le Contrat».
Le suicide chez les vétérans de l’armée est une grande source de préoccupation pour le gouvernement canadien. Une étude a révélé que les ex-militaires hommes avaient 1,4 fois plus de risques de se suicider que les autres hommes canadiens. Quant aux femmes militaires, elles ont 1,8 fois plus de chances de s’enlever la vie. Chez les hommes, les risques sont particulièrement élevés durant la première décennie suivant leur retraite:
«Les taux de suicide chez les hommes vétérans étaient à leur plus haut pendant les dix premières années suivant la libération et diminuaient pour rejoindre le taux observé chez les hommes canadiens vingt ans après la libération. Le risque de suicide chez les hommes vétérans culminait environ quatre ans après la libération», conclut une étude publiée en 2018 par Anciens combattants Canada.
Plusieurs facteurs peuvent contribuer à faire naître des pensées suicidaires chez les vétérans, mais le choc post-traumatique est l’un des principaux. Les militaires qui ont vécu un événement traumatisant en mission présentent des risques accrus de développer ces idées. Un sentiment de peur intense, des palpitations cardiaques et une respiration rapide font souvent partie des symptômes. Ces signes de détresse épuisent la personne et peuvent la mener à la dépression. «Les faits d’être un homme, d’être jeune, d’avoir été militaire du rang [non-officier, ndlr] au moment de la libération et d’avoir été libéré de façon non volontaire» augmentent aussi les risques suicidaires, selon la même étude.
Un phénomène difficile à prévenir
Malgré les ressources mises en place par le gouvernement canadien pour les aider, de nombreux vétérans continuent de s’enlever la vie chaque année. C’est pour prévenir ce phénomène tragique que le Québécois Laurent Proulx a mis sur pied Le Contrat — The Contract, un nouveau groupe d’entraide pour les vétérans canadiens. Le principe est le suivant: «les ex-militaires doivent s’engager sur l’honneur à ne pas se suicider». La formule peut paraître très directe, mais elle semble déjà fonctionner, selon lui.
«Le Contrat est une toute nouvelle approche. C’est quelque chose qui n’existait pas au Canada. C’est de l’entraide de groupe basée sur un pacte, sur une promesse. Au lieu d’aller vers des modes un peu plus traditionnels qui demandent d’abord aux gens de s’ouvrir et de parler, on commence par la promesse. On demande évidemment aussi aux gens de s’ouvrir, mais avant ça il y a cette dimension qui fait appel au sens de l’honneur», a mentionné M. Proulx.
Ex-militaire devenu homme d’affaires, Laurent Proulx a lui-même combattu au sein d’une division blindée lors de l’intervention occidentale en Afghanistan en 2007-2008. Il avoue que c’est le suicide récent de l’un de ses anciens frères d’armes qui l’a convaincu de démarrer ce groupe, que l’on rejoint d’abord sur Facebook.
«Dans chaque militaire, il y a un soldat. C’est ce qui est enseigné dans les Forces armées canadiennes. Que tu sois infirmier, commis — magasinier, mécanicien ou pilote de chasse, tu es d’abord un soldat. C’est à ce soldat-là qu’on parle. On lui dit qu’il doit s’engager à ne pas se suicider sur le même serment d’honneur qu’il a prêté dans les Forces armées. On parle de courage, d’honneur et d’engagement. Il doit nous promettre — à nous et à sa communauté — de prendre les moyens nécessaires avant d’en arriver là. Sa communauté ne l’a jamais abandonné. En retour, il ne doit jamais abandonner sa communauté», a poursuivi l’ancien combattant.
Devenu un homme d’affaires respecté et connu au Québec, Laurent Proulx souffre encore de certains symptômes du choc post-traumatique. Certaines interventions musclées auxquelles il a pris part ne le quitteront jamais complètement, confie-t-il. Il dit toutefois avoir la chance d’avoir conservé un bon équilibre de vie, ce qui nécessite quand même quelques efforts. Il faut garder une bonne discipline.
«Chaque personne est différente. L’intensité des symptômes dépend évidemment des événements vécus par chaque personne sur le terrain. Il y a des événements qui marquent beaucoup plus que d’autres. Ensuite, la réadaptation dépend de la capacité de la personne à s’ouvrir et à se prendre en main. Ça peut aussi dépendre de l’entourage de la personne. […] Personnellement, j’évite encore de regarder des films de guerre avant d’aller au lit, mais ça reste mineur par rapport à d’autres cas. Ma situation me permettait de mettre sur pied le projet», a mentionné M. Proulx.
Le groupe Le Contrat dispose déjà d’une trentaine de bénévoles qui s’activent tous les jours sur Facebook pour venir en aide aux ex-militaires canadiens.