Pendant ses vacances au fort de Brégançon, Emmanuel Macron a été mis en scène par Paris Match dans un reportage intitulé « Les vacances de M. et Mme Tout-le-Monde » ou l’on apprend que « le couple présidentiel va parfois dîner en famille dans une pizzeria toute proche ».
Par la suite, BFM TV « révélait » à son tour que le chef de l’État était dimanche soir dans une pizzeria sans prétention et qu’il « n’a pas demandé à privatiser le restaurant ».
Un plat du pauvre, consommé par tous
Il faudrait avoir la gueule enfarinée pour croire que le plat a été choisi au hasard, surtout après l’affaire de Rugy : la pizza est l’anti-homard, le plat populaire par excellence, un mets qu’un président des riches ne consommerait jamais, sauf peut-être dans certaines rares enseignes luxueuses des beaux quartiers parisiens. Attestée depuis au moins le XVIe siècle à Naples, la célèbre pâte recouverte de garniture cuite au four est historiquement considérée comme un repas de pauvre, que l’on déguste sur le pouce et l’on peut toujours en savourer de succulentes pour moins de cinq euros dans la ville de Pulcinella et de Maradona, ce qui y a d’ailleurs considérablement limité l’expansion de McDonald.
Mais Macron n’est pas le président de l’Italie et il sait que manger une pizza est aussi devenu une tradition populaire française. Dans l’Hexagone, les pizzas se vendent comme des petits pains. Il s’agit même du troisième plat le plus consommé par nos compatriotes avec un milliard de pièces vendues en 2018, derrière le burger (1,2 milliard) et le sandwich (2,4 milliards), indétrônable numéro 1, déroule Bernard Boutboul du cabinet Gira conseil, spécialiste du marché de la consommation alimentaire. Et contrairement au kebab – presque exclusivement consommé par les plus jeunes –, il s’agit d’un plat englouti par toutes les catégories de la population, toujours selon Boutboul. Peu chère et facile à fabriquer, la pizza est, avec la crêpe, une véritable cash machine de la restauration. En France, on recense environ 15 000 pizzerias, soit 10 % des 145 000 restaurants de service à table. Un chiffre énorme qui devrait encore progresser ces prochaines années.
« Je croyais qu’il était condescendant »
La pizza est aussi un mets peu onéreux, ce qui renforce son caractère populaire. Le coût moyen d’une pizza en France en 2018 est de 10,20 euros dans un restaurant, et le prix moyen d’un repas dans une pizzeria avec une boisson et un dessert est de 17 euros, ce qui est légèrement inférieur aux 19,50 euros payés en moyenne par les Français pour un service à table.
Or, si BFM TV a évoqué un menu à 27 euros dans le restaurant où le président s’est rendu, la chaîne est allée un peu vite en besogne : « Il n’y a pas de menu, sauf pour les jours de fête », précise Maryse Castel, gérante avec sa sœur Geneviève Jouet de la brasserie-pizzeria Les Sirènes à Cavalaire où le couple présidentiel a ses habitudes. Si la restauratrice ne se souvient plus quelle pizza a consommé le président, elle précise que leurs prix varient entre 10 et 15 euros. Macron ne s’est donc pas fait rouler dans la farine, même si le chef des armées a tout de même englouti un colonel (une glace au citron arrosée de vodka – source) à 10 euros pour le dessert.
Si elle n’a pas convaincu tout le monde sur les réseaux sociaux, l’opération pizza a au moins eu le mérite de séduire le personnel du restaurant : « Il a été très sympa, très humble. Je l’ai senti sincère, mieux que quand on le voit télévision. Je croyais qu’il était condescendant, mais il ne l’a pas du tout été. Il aime foncièrement les gens », raconte Maryse Castel, bonne pâte.
Une mondialisation heureuse
Mais au-delà de son caractère populaire, si la pizza ressemble à Macron, c’est parce qu’elle est le symbole culinaire de son projet politique : une mondialisation réussie, heureuse, qui s’adapte à son nouvel environnement grâce à sa plasticité hors du commun. Car depuis qu’elle est née à Naples, la pizza a vécu une véritable épopée retracée par Sylvie Sanchez dans son livre Pizza, cultures et mondialisation. Pour suivre le plat à travers le monde, la chercheuse du CNRS a retracé la route de près de 26 millions de migrants italiens qui ont quitté leur pays à la fin du XIXe siècle. Elle a retrouvé leur destination : le sud de la France, et plus précisément la Provence, et les États-Unis, en particulier New York et Chicago. La pizza explose véritablement dans les années 1960… en dehors de l’Italie !
Déracinée, la pizza a épousé les coutumes culinaires et les modes de vie des populations locales de ses destinations sans jamais perdre complètement sa véritable identité. En France, elle est devenue une spécialité régionale typique de la Provence. Et « la France est le seul pays au monde qui ne la consomme pas en fast food », précise Bernard Boutboul. Quant aux Américains, ils l’ont intégrée à l’American way of life, à une cuisine sur le pouce. Dans les grandes villes, il est courant depuis longtemps d’acheter une part, de la plier en deux pour la déguster rapidement dans la rue.
Face à ce succès mondial, les Italiens se la sont réappropriée, au point qu’en décembre 2017, « l’art du pizzaïolo napolitain » a été classé au titre de patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco. « C’est sa diffusion à travers les États-Unis, la France, le monde, qui a permis de sauver la pizza », affirme Sylvie Sanchez dans le journal du CNRS. La pizza est aussi devenue synonyme de progressisme : la Nasa dispose aujourd’hui d’une imprimante 3D capable de confectionner une Margarita à ses astronautes.
Sauf que contrairement à la pizza, Macron ne fait pas l’unanimité. Certains comme les Gilets jaunes aimeraient lui jeter des tomates alors que d’autres considèrent que le Mozart-est-là !