Le 1er septembre 1939, la bataille de Westerplatte marquait les débuts de la Seconde Guerre mondiale. Quatre-vingts ans après, les commémorations donnent lieu à un affrontement entre le gouvernement polonais et la ville de Gdansk.
Le 1er septembre 1939 à 4 h 45. Un déluge de feu s’abat sur la garnison polonaise de la péninsule de Westerplatte, près de la ville libre de Dantzig, aujourd’hui Gdansk, dans le nord de la Pologne. Le SMS Schleswig-Holstein, un cuirassé allemand, tire ses premiers coups de canon. La Seconde Guerre mondiale vient de débuter. Les soldats polonais ripostent pendant plusieurs jours, mais le 7 septembre, la garnison est contrainte de se rendre. Le drapeau blanc est hissé.
« Les nazis pensaient prendre Westerplatte en une journée mais les Polonais, qui étaient environ 180, les ont tenus en échec pendant une semaine », raconte Amélie Zima, docteure en science politique de l’Université Paris Nanterre, spécialiste de la Pologne. « Westerplatte représente donc pour les Polonais un symbole de résistance et l’une des batailles les plus héroïques qui soit ».
Quatre-vingts ans plus tard, un immense monument se dresse sur les lieux même de ces combats. Chaque 1er septembre, une cérémonie s’y déroule. Pour le 70e anniversaire, en 2009, l’ancien président Lech Kaczyński y avait participé. Cette année, l’actuel chef de l’État, Andrzej Duda, brillera par son absence. Le président polonais a en effet décidé de délocaliser la principale cérémonie marquant les débuts de la Seconde Guerre mondiale dans la capitale Varsovie. « Cela s’inscrit dans le conflit récurrent qu’il y a entre la ville de Gdansk et le gouvernement au pouvoir du parti conservateur Droit et justice (PiS) », explique Amélie Zima.
Le gouvernement a finalement choisi de passer en force contre l’avis de la mairie. En juillet, il a fait voter une loi pour exproprier la ville de Gdansk du terrain et mener à bien la construction de son musée. Celle-ci a depuis été signée par le président Andrzej Duda. Ce n’est pas la première fois que le gouvernement fait preuve d’ingérence à Gdansk. Comme le rappelle l’historienne Audrey Kichelewski, maîtresse de conférence en histoire contemporaine à l’université de Strasbourg, il y a quelques années, le PiS s’était déjà opposé à la municipalité lors de la création du musée de la Seconde Guerre mondiale de la ville, qui a ouvert ses portes en 2017.
« La grande accusation du gouvernement était que ce musée n’était pas assez polonais et qu’il présentait une vision trop globale de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale », explique cette spécialiste de la Shoah en Pologne. Résultat : le gouvernement du PiS a révoqué l’équipe du musée, dont son directeur Pawel Machcewicz, et a essayé de reprendre en main son contenu. « Ils ont changé des choses, mais ils ne pouvaient pas tout détruire. Ils ont donc décidé de faire une annexe à Westerplatte pour raconter à leur façon cette bataille », précise l’historienne.
Selon Audrey Kichelewski, cela s’inscrit véritablement dans une réécriture de l’Histoire : « Ils ne vont pas employer ce terme, mais parler de politique historique avec une volonté explicite de montrer à leurs concitoyens et même au monde entier une vision plus légitime selon eux, d’une Pologne à la fois héroïque et martyr au cours de la guerre ».
En février 2018, cette politique s’est concrétisée avec le vote d’une loi controversée sur la Shoah par le Sénat polonais. Destiné à défendre l’image du pays, le texte punit ceux qui attribuent « à la nation ou à l’État polonais, de façon publique et en dépit des faits, la responsabilité ou la coresponsabilité des crimes nazis commis par le IIIe Reich allemand (…), de crimes de guerre ou d’autres crimes contre la paix et l’humanité ». Les articles prévoyant des peines de prison ont depuis été amendés. « Mais peuvent toujours être attaqués en diffamation ceux qui portent atteinte à la bonne réputation de la nation polonaise. Personne n’a encore été inculpé, mais des procédures sont en cours », précise Audrey Kichelewski.
Au quotidien, cette chercheuse est également le témoin de « la diffusion de cette vision de l’Histoire ». En mars dernier, elle était présente lorsque le colloque sur la « nouvelle école polonaise d’histoire de la Shoah » organisé à Paris a été perturbé par une trentaine de personnes, identifiées comme des nationalistes polonais : « Ce sont des personnes qui nous suivent sur les réseaux sociaux. Ils nous écrivent pour nous insulter ou nous intimider ». Depuis la France, l’historienne ne s’estime pas vraiment menacée, mais elle observe le travail de sape auprès de ses collègues polonais s’ils ne sont pas « dans la bonne ligne ». « C’est difficile pour eux. Ils perdent des subventions pour leurs recherches. Ils n’ont pas accès aux médias publics ou alors ceux-ci déforment leur propos. L’Histoire devient vraiment un champ de bataille politique ».
Malgré cette campagne d’intimidation, une partie de la communauté scientifique continue de s’opposer à cette narration de l’Histoire. « Une lettre ouverte au président Duda contre le projet de nouveau musée a été signée par 134 chercheurs, dont Pawel Machcewicz », rapporte Amélie Zima. « Pour lui, ce projet est une sorte de Disneyland historique. Il estime que la vision de la ville de Gdansk est la meilleure, car elle conserve l’authenticité du lieu et souligne les marques laissées par la guerre ».
Mais le nouveau musée de Westerplatte est sur les rails. La pose de la première pierre doit d’ailleurs avoir lieu le 1er septembre pour les 80 ans de la bataille. À défaut du président Andrzej Duda, le Premier ministre Mateusz Morawiecki sera bien présent pour les commémorations. À l’approche des élections législatives prévues en octobre, le bras de fer « historique » entre le PiS et l’opposition ne devrait que s’accentuer, comme le souligne Amélie Zima : « Les derniers sondages sont plutôt en faveur du PiS et tant qu’ils resteront au pouvoir, ils continueront à promouvoir cette narration de l’Histoire ».