La militante europhile Gina Miller entrera dans l’histoire comme celle qui a battu à plate couture à deux reprises devant la justice les partisans du Brexit.
Mardi, la Cour suprême britannique a jugé « illégale » la suspension du Parlement décidée par le Premier ministre conservateur Boris Johnson, partisan d’un Brexit à tout prix et soupçonné d’avoir voulu museler le Parlement sur cette question. En 2016, elle remportait une autre manche décisive en obtenant des tribunaux d’obliger le gouvernement conservateur précédent, celui de Theresa May, à consulter le Parlement sur le processus de sortie de l’Union européenne.
Sa première victoire en justice a fait d’elle une héroïne nationale pour les europhiles, une paria pour les europhobes qui l’accusent de vouloir annuler le résultat du référendum de juin 2016 lors duquel le Brexit l’avait emporté avec 52 % des voix.
Cette gestionnaire de fonds de 54 ans, originaire de Guyane britannique, a ainsi reçu pendant des mois des menaces de mort et des injures racistes. Ses trois enfants ont également été menacés et elle a dû embaucher des agents pour assurer sa sécurité, un aristocrate étant même allé jusqu’à mettre sa tête à prix.
Cela ne l’a pas désarmée et pendant la campagne électorale des législatives anticipées de juin 2017, convoquées par Theresa May, elle a milité pour la cause européenne. Et elle a repris le collier récemment pour porter plainte contre la suspension du Parlement décidée par Boris Johnson, soutenue dans sa démarche par l’ancien Premier ministre conservateur John Major, lui aussi europhile convaincu.
« Veuve noire »
Une résilience qui s’explique par la vie contrastée de celle qui a grandi dans une famille engagée politiquement. Son père, Doodnaught Singh, était procureur général de Guyane britannique. A 11 ans, comme dans toutes les bonnes familles, elle est envoyée dans un pensionnat en Angleterre. Mais deux ans plus tard, elle travaille à temps partiel comme femme de chambre, lorsque sa famille traverse des difficultés financières.
Deux fois divorcée, elle a tenu des emplois très divers dans sa vie – serveuse, mannequin, et même un rôle au générique d’un des James Bond – avant de créer son propre fonds d’investissement.
Après la crise financière de 2008, elle s’était déjà investie personnellement dans des campagnes pour réclamer plus de transparence dans le secteur financier, ce qui avait valu le surnom peu amène de « veuve noire » à cette métisse qui estime que les choses auraient été bien « plus faciles » si elle avait été un homme blanc.
Son action militante anti Brexit a changé la donne. « Cela a complètement changé ma vie », expliquait-elle récemment à l’AFP. « Par moments, je suis très déprimée de vivre dans un pays où les gens pensent que c’est OK de dire que parce que je suis une femme de couleur, je ne suis pas assez intelligente ou je ne suis pas à ma place, ou qui me comparent à un animal ».
Mais malgré tout, « je continuerai à me battre », ajoutait-elle. « J’ai été une militante pendant vingt ans – je suis habituée à prendre des coups ».