L’indignation générale soulevée par le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi s’est dissipée un an après les faits, mais la justice n’a pas encore été rendue et la répression continue en Arabie saoudite.
Cherchant à soigner son image fortement ternie par cette affaire, le royaume saoudien a traduit en justice 11 suspects dans l’assassinat le 2 octobre 2018 du journaliste, qui était proche du pouvoir avant d’en devenir critique.
Mais le meurtre commis au consulat saoudien d’Istanbul aurait impliqué 15 agents saoudiens, et la CIA et une experte de l’ONU ont mis en cause le prince héritier saoudien et homme fort du pays Mohammed ben Salmane, qui dément.
L’un des suspects, Saoud al-Qahtani, conseiller royal et confident du prince héritier, qui a été limogé et sanctionné par Washington, est absent du procès qui a débuté en janvier 2019 et qui se déroule à huis clos.
A la dernière audience fin juillet, l’un des proches de Jamal Khashoggi a contesté l’absence de ce suspect et demandé qu’il soit convoqué pour témoigner, ont indiqué à l’AFP des responsables occidentaux. On ignore la réponse donnée par le tribunal à cette requête.
Saoud al-Qahtani avait longtemps suscité la crainte en Arabie saoudite, ayant dirigé une campagne médiatique sur les réseaux sociaux pour défendre l’image du prince héritier et intimider ses critiques.
Le mois dernier, Twitter a supprimé son compte ainsi que plusieurs autres comptes pour « leurs efforts coordonnés visant à amplifier des messages avantageux pour le gouvernement saoudien ».
Saoud al-Qahtani n’est pas apparu publiquement depuis l’assassinat, ce qui suscite des spéculations sur son sort.
« Bouc émissaire »
« Le retrait et le profil bas de Saoud al-Qahtani peuvent être considérés (…) comme une tentative de faire d’un haut responsable un bouc émissaire pour donner l’impression que l’Arabie saoudite change », a déclaré à l’AFP Marc Owen Jones, chercheur à l’Université britannique d’Exeter.
« Les prisonniers politiques sont toujours en prison, le différend avec l’Iran (rival de l’Arabie saoudite) et la guerre au Yémen ne vont pas créer un environnement permettant au gouvernement de tolérer les dissidences », a-t-il ajouté.
On ne sait toujours pas quand le procès s’achèvera et le ministère chargé des médias n’a pas répondu aux demandes d’éclaircissements de l’AFP.
Les diplomates des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et de la Turquie sont autorisés à assister en tant qu’observateurs au procès.
Ils n’ont cependant pas le droit d’avoir des interprètes alors que les délibérations se déroulent en arabe et ils sont généralement convoqués à bref délai, selon des sources occidentales.
La famille de Jamal Khashoggi, autorisée à assister au procès, a rejeté les informations faisant état d’un règlement financier avec le gouvernement saoudien.
L’un des fils du journaliste assassiné, Salah Khashoggi, a affirmé mardi sur Twitter sa « confiance » dans la justice saoudienne et critiqué ceux qui cherchent à instrumentaliser l’affaire pour nuire, selon lui, à l’Arabie saoudite et à ses dirigeants.
« Pas de place à la critique »
Lors de l’émission « 60 minutes » de la chaîne américaine CBS diffusée dimanche, le prince Mohammed a nié avoir ordonné l’assassinat du journaliste mais a dit en assumer « la responsabilité en tant que dirigeant de l’Arabie saoudite ». l
La rapporteure spéciale de l’ONU sur les exécutions sommaires, Agnes Callamard, a critiqué lundi le prince héritier pour avoir tenté de se « distancer » du meurtre.
« Il n’assume aucune responsabilité personnelle pour le crime, il crée une distance énorme entre lui-même et le crime lui-même, il crée des couches et des couches d’acteurs afin de se distancier de l’exécution, de son ordre et de son organisation », a déploré Mme Callamard qui ne s’exprime pas au nom de l’ONU.
Entretemps de nombreux critiques du prince héritier sont toujours emprisonnés.
Les autorités ont récemment proposé de libérer une militante, Loujain al-Hathloul, en échange d’un témoignage vidéo niant qu’elle avait été torturée et harcelée sexuellement en prison, selon sa famille.
Loujain al-Hathloul fait partie d’une douzaine de militantes arrêtées il y a environ un an notamment pour contacts avec des médias étrangers, des diplomates et des organisations de défense des droits humains. Elle et d’autres militantes affirment avoir été torturées et harcelées sexuellement pendant leur détention. Les autorités ont démenti ces accusations.
« Il y a eu des arrestations d’autres intellectuels et militants et il n’y a certainement pas de place pour les critiques contre les dirigeants », a déclaré à l’AFP Kristin Diwan, de l’Arab Gulf States Institute à Washington.
« L’orientation générale de la politique saoudienne reste inchangée ».