En première ligne de l’offensive déclenchée par Ankara en Syrie cette semaine, des habitants des villes turques frontalières n’ont qu’un souhait : le retour au calme. Mais beaucoup, comme à Suruç, ont peur d’exprimer la moindre critique.
Cette ville, qui fait face à Kobané, sa « jumelle » syrienne, était plongée dans le deuil samedi, au lendemain de tirs d’obus à partir de la Syrie qui ont coûté la vie à trois de ses habitants.
Parmi eux, Halil Yagmur, un élu de quartier et père de 10 enfants. A ses funérailles, plusieurs dizaines de personnes sanglotent le visage entre les mains. « Papa ! », s’exclame une femme quand le corps est enlevé.
Dans sa prière pour le défunt, l’imam s’efforce de rassurer et de réconforter : « Nous sommes unis, nous ne serons jamais divisés », exhorte-t-il.
Mais parmi les habitants assistant à la cérémonie, la tension est palpable, accentuée par la présence de militaires et de policiers en civil.
Yagmur a été tué vendredi avec deux autres personnes à Suruç par des projectiles tirés des zones contrôlées en Syrie par la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG).
La Turquie effectue depuis mercredi une opération militaire contre ce groupe soutenu par les pays occidentaux mais qu’elle qualifie de « terroriste » pour ses liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation qui livre une sanglante guérilla sur le sol turc depuis 1984.
L’opération est bruyamment acclamée par des célébrités et la majorité des responsables politiques, ainsi que par une large partie de la population, épuisée par des décennies de guérilla kurde.
« Encore des guerres ! »
Mais pour la plupart de ceux qui s’y opposent, le silence est de rigueur : le gouvernement réprime en effet sans merci ceux qui émettent des critiques.
Depuis mercredi, 121 personnes accusées d’avoir fait de la « propagande terroriste » contre l’opération sur les réseaux sociaux ont été arrêtées en Turquie.
La situation est d’autant plus tendue dans les villes frontalières que certaines d’entre elles ont une forte population kurde.
« On a peur de critiquer l’opération », déclare à l’AFP un habitant de Suruç, demandant l’anonymat de peur de représailles.
« Si vous étiez à notre place, vous auriez peur, vous aussi », dit-il, ajoutant dans un murmure qu’il aurait préféré qu’il n’y ait pas eu d’opération militaire.
Un autre habitant d’une cinquantaine d’années, qui demande lui aussi à ne pas être nommé, se dit « contre tout type d’opérations militaires ».
Interrogé à ce sujet, son ami refuse de répondre.
« Nous voulons la paix », déclare Sarya Dogan, une femme présente aux funérailles samedi, épuisée par des années de violences, sur fond de reprise du conflit kurde en 2015.
« Des guerres, encore des guerres ! Nous sommes tous frères et soeurs ! », ajoute-t-elle.
« Maudit PKK »
Pour ceux qui soutiennent l’offensive déclenchée par le président Recep Tayyip Erdogan, nul besoin de se cacher.
A chaque convoi qui traverse une ville en direction de la frontière, des foules poussent des cris de joie en agitant des drapeaux turcs.
« Que Dieu aide notre pays ! », lance Selami Arslan, agriculteur de son état. « Nous ne voulons pas que d’autres musulmans meurent », dit-il pour expliquer son soutien à l’opération.
Depuis mercredi, les tirs de mortier des forces kurdes contre les villes frontalières turques comme Suruç, Nusaybin, Akçakale et Ceylanpinar ont fait 18 morts parmi les civils et échauffé les esprits.
« Les martyrs sont immortels, notre patrie est indivisible ! », « Maudit soit le PKK ! », a ainsi scandé la foule qui a assisté vendredi aux funérailles d’un bébé de neuf mois tué par un obus à Akçakale.
Si plusieurs centaines de familles ont quitté les villes frontalières depuis mercredi, beaucoup sont restés ou sont même venus de villes voisines pour afficher leur soutien ou observer les colonnes de fumée qui s’élèvent après les bombardements turcs.
« Nous sommes ici pour soutenir nos soldats, notre gouvernement et notre peuple », dit Bub Aslanli, un agriculteur de Ceylanpinar. « Nous prions pour eux ».